Pourquoi les ouvriers de Nissan ont voté non

Publié le par NPA Auto Critique

Publiée sur le site d'Industriall

Traduction d'un article publié sur le site nord américain Labor Notes le 11 août 2017

Il ne faut pas se mentir : après une campagne de 12 ans pour organiser un syndicat dans l'usine Nissan de Canton, dans le Mississippi, le  refus de la    création d'un syndicat, par 2244 voix contre 1307,  est un échec. Malgré de multiples tentatives, l'UAW n'a pas encore réussi à gagner un vote dans l'une des usines d'un constructeur automobile étranger dans le Sud des États-Unis.
Le résultat du 4 août peut être expliqué par trois facteurs: la campagne anti-syndicale féroce de Nissan, l'échec du syndicat à construire une organisation forte à l'intérieur des ateliers, et la réticence des travailleurs de Nissan à risquer de perdre un travail qui paie beaucoup plus que les autres usines de l'État du Mississipi.
Les dirigeants de l'UAW avaient estimé que les données démographiques jouaient en leur faveur, puisque 80% de la main-d'œuvre de Nissan est noire, les travailleurs noirs étant, selon les données disponibles, plus susceptibles de voter pour un syndicat que leurs homologues blancs. Mais Nissan apporte des emplois bien rémunérés dans une zone où il y en a très peu, et même si les travailleurs de Nissan ont des salaires moins élevés que chez les les trois grands constructeurs automobiles nord américains, ils ont des salaires plus élevés que les autres ouvriers de cet état du Mississipi.
Selon Robert Hathorn, un responsable syndical, "les gens conduisent deux heures pour arriver à cette usine parce qu'ils n'ont jamais eu un emploi comme celui-ci auparavant". Hathorn avait débuté comme temporaire il y a quatre ans, et fut ensuite employé directement par Nissan grâce au programme "Pathway" d'intégration dans l'entreprise.
Ces salariés « pathway » sont certes payés plus que les temporaires mais reçoivent des salaires plus bas et disposent de moins d'avantages que les travailleurs embauchés directement par Nissan lors de l'ouverture de l'usine en 2003. Alors quelL'UAW comptait sur la frustration de ces travailleurs "pathway"   mis en situation d'infériorité dans l'usine, beaucoup d'entre eux ne soutenaient pas le syndicat par peur de perdre ce qu'ils avaient. Selon  Bianca Cunningham, l'une des « volontaires » bénévoles de la campagne, "j'ai parlé à  de nombreux travailleurs qui m'ont dit : " J'ai vécu dans une maison mobile avec ma femme et mes enfants et maintenant je travaille chez Nissan et j'ai une maison et un terrain et ma vie est meilleure. C'est vrai, peu importe la race. "
Nissan loue des voitures aux employés à des taux inférieurs au marché. La rumeur était que la création d'un syndicat signifierait la fin de ce programme - bien qu'il puisse être inclus dans un accord syndical.

La triple alliance anti syndicat.
Nissan, le personnel politique de l'état du Mississippi, et les groupes de défense des intérêts des entreprises se sont tous joints à cette croisade anti syndicale.

Avant le vote, la Commission nationale des relations du travail a déposé une plainte contre Nissan, détaillant les menaces illégales commises pendant des années par la société contre des employés syndicalisés. La plainte relève  que les cadres et contremaîtres de Nissan ont déclaré aux travailleurs, tant  en tête à tête qu'en petits groupes que l'usine pourrait fermer  si un syndicat y était autorisé.
"Ils ont effrayé beaucoup de détenteurs de cartes syndicales", selon Chip Wells, un ouvrier d'entretien qui avait été embauché peu de temps après l'ouverture de l'usine il y a 14 ans. Alors que pendant des années, il avait été actif dans le comité d'organisation du syndicat, quelques jours avant le vote, il a changé de position  sous la pression des collègues antisyndicaux, une décision qu'il regrette maintenant.
La pression dans l'usine état intense, avec des vidéos anti syndicat passant en boucle. "Les membres de l'encadrement et des personnes  travaillant dans l'usine, mais n'étant pas salariés par Nissan portaient des chemises « Vote NO". Membres de l'encadrement et responsables des ressources humaines ont tenu dans toute l'usine des réunions de 20 à 25 travailleurs chacune auxquelles il était obligatoire d'assister.
La Chambre de commerce du Mississippi et l'Association nationale des entreprises ont saturé les médias locaux de publicités. Une association financée par les frères milliardaires Koch, s'est impliquée, en envoyant 25 000 mails aux habitants de la région et en produisant vidéos et publicités radio donnant une image apocalyptique de l'avenir du Mississippi si les travailleurs de Nissan votent en faveur du syndicat. Le gouverneur Phil Bryant a déclaré la semaine précédant le vote: «Si vous voulez détruire votre emploi, et mettre fin à la production comme elle existe dans le Mississippi, commencez par développer des syndicats !».
"Vous avez déjà entendu parler de la puissance télépathique? C'était comme ça ", selon Hathorn. "C'était écrasant. Ils étaient dans nos têtes vingt quatre heures sur vingt quatre ».
Après une expérience similaire il y a trois ans et l'échec d' un vote dans l'usine de Volkswagen à Chattanooga dans l'État du Tennessee, l'UAW aurait dû savoir que les entreprises et les politiciens du Mississippi ne seraient pas moins hostiles.

Pas de neutralité pour Nissan
L'UAW avait essayé de convaincre Nissan de rester neutre, comme l'avait fait Volkswagen. L'année dernière, le syndicat a accueilli Christian Hutin, un député de l'Assemblée nationale française, France, membre d'une mission d'enquête destinée à informer les travailleurs de l'intimidation antisyndicale régnant dans l'entreprise. Le gouvernement français est le plus grand actionnaire de Renault, qui détient 43% des actions de Nissan. Il ne semble pas que le gouvernement français ait pris des mesures utiles.

Le sénateur Bernie Sanders et l'acteur Danny Glover ont participé à la campagne : «Les droits des travailleurs sont des droits civiques». Mais lorsque les prédicateurs et les dirigeants des droits civiques ont demandé à Nissan une réunion pour discuter d'un scrutin «libre et équitable », Nissan n'a pas répondu. "C'est à cela que ressemblent les campagnes anti-syndicales agressives. Nissan n'abandonnera pas une campagne antisyndicale agressive simplement parce que vous dites qu'ils sont racistes », remarque Kate Bronfenbrenner, chercheuse à l'Université Cornell. "Vous devez organiser une campagne qui fasse que pour l'entreprise la lutte contre le syndicat lui coûte plus cher l'entreprise que l'autorisation du syndicat".
L'UAW a fait pendant des années des dons généreux aux organisations communautaires de la ville de Canton.  Nissan, relayé par tous les anti syndicats,  a accusé l'UAW de financer les prédicateurs et ses partisans.

Le syndicat pas prêt

Le syndicat n'était pas préparé à cette offensive. Le comité d'organisation du syndicat était trop réduit et manquait de présence dans certains départements et équipes de travail de l'usine. "Nous ne pouvions pas couvrir tout le monde dans l'usine parce que le comité n'était pas assez grand et il y avait beaucoup de membres du comité n'étaient pas actifs comme ils auraient dû l'être", selon Jeremy Holmes, un travailleur de l'atelier de sellerie membre du comité depuis son entrée dans l'usine de Canton il y a six ans. "Probablement, seulement environ la moitié faisaient le travail qui devait être fait".
Les membres du comité affirment qu'ils n'ont pas eu accès au recensement exact de qui était employé directement par Nissan ou pas, jusqu'à ce que la compagnie fournisse au syndicat la liste requise seulement quelques semaines avant le vote.
Les travailleurs temporaires employés par Kelly Services et d'autres organismes représentent jusqu'à 40 pour cent des 6 400 travailleurs. Beaucoup réalisent les mêmes emplois, mais pour moins de rémunération et moins d'avantages que les travailleurs directement employés par Nissan. Selon Holmes, "tout le monde dans l'usine porte des chemises Nissan et il y a tellement de gens qui travaillent pour des entreprises secondaires que vous ne savez pas qui travaille pour qui, si vous ne le leur demander pas".

Les membres du comité d'organisation du syndicat ont voulu rencontré chaque salarié « admissible pour voter » pour discuter de leurs opinions  pro ou anti syndicats. Selon les membres du comité d'organisation, plus de 600 travailleurs  n'avaient pas été rencontrés par le syndicat le jour de l'élection.
Au contraire, Nissan a contacté tous les salariés. Selon Holmes, « ceux que nous n'avons pas rencontrés ont voté après avoir seulement entendu ce que Nissan avait à dire au sujet du syndicat". Et selon Hathorn, membre du comité d'organisation syndicale depuis deux ans, "Au moment du vote, les travailleurs qui avaient signé une carte syndicale représentaient moins de la moitié des salariés ».
Tout aussi important, l'UAW a limité sa campagne à des déclarations plutôt qu'à  l'action revendicative. Une recherche a montré que les syndicats qui gagnent les élections sont ceux qui organisent les travailleurs pour s'occuper de leurs revendications. Cela signifie contester les actions injustes des contremaîtres avec des pétition ou des venues groupées dans leur bureau. Cela implique de prendre la responsabilité d'organiser et de représenter les collègues de travail avant qu'il n'ait été concéder le droit légal de le faire. En tout état de cause, les membres du comité d'organisation étaient trop intimidés pour parler même pendant les réunions d'ateliers convoqués par la direction de Nissan.


Et maintenant !
Quelque temps avant le scrutin, le vice-président de l'UAW a été accusé de recevoir d'énormes pots de vin de la part de Chrysler. Mais selon Hathorn, cette d'accusation n'a pas été un problème dans l'usine : "Aucun des anti syndicats n'a dit quelque chose à ce sujet ».
Selon Hathorn, "Les gens étaient vraiment terrifiés par la menace de  perdre leur emploi...Ils pensaient qu'ils allaient perdre aussi leur voiture en location".

Et maintenant? "Nous allons vérifier l'application de toutes les promesses faites par l'entreprise. Nous allons toujours avoir nos réunions, encore parler aux employés, encore travailler avec la communauté, et nous préparer à engager de nouvelles actions."

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