PSA - Fiat : un mariage prometteur pour les capitalistes

Publié le par NPA Auto Critique

Ci dessous la traduction d'un article publié par Franco Turigliatto sur le site de Sinistra Anticapltalista. Et pour information en compléments les prises de position de la FIOM CGIL talie et de la CGT

Il semble donc que le mariage entre Fiat-Chrysler et Peugeot se fera avant Noël même si le président Elkann a prudemment précisé que « il y a encore beaucoup à faire pour formaliser le projet », c'est-à-dire réaliser concrètement cette fusion des deux multinationales de l'automobile.

La firme française avait été, dès le début, le premier amour de Giovanni Agnelli, qui considérait cette alliance la plus naturelle et cohérente avec la taille des deux entreprises, mais ses avances n'avaient jamais suscité l'intérêt de la famille Peugeot qui continue de contrôler PSA. Les temps ont changé, la firme française, ayant connu après une période de grande difficulté, une forte reprise sous la direction de son président portugais Tavares.

L'époque de la concurrence exacerbée

Nous avions eu l'occasion d'écrire à propos de l'affaire Renault que "dans la jungle du marché capitaliste, on avance ou bien on court le risque de se faire assommer", d’où l’obligation de faire « les alliances et les fusions nécessaires pour réduire les coûts et maintenir des profits élevés et des dividendes pour les actionnaires”.

C’est encore plus nécessaire aujourd’hui car la production automobile fait face à des défis et à des changements d'époque : la transition, en remplacement des moteurs thermiques, vers l’énergie électrique imposée par le réchauffement climatique, et jusqu’à la transition vers la voiture autonome. Des réalisations sont attendues d'ici à 2025. Un autre problème empêche les patrons de dormir : la récession économique déjà en cours dans le secteur de l'automobile et un taux de croissance annuel très limité (1,6%) jusqu'en 2026 qui pourrait entraîner une réduction des bénéfices bruts de 60 milliards de dollars

Une fusion encensée

Comme chaque fois où des projets de fusion sont annoncés par Fiat puis par FCA, les journalistes, les commentateurs, et les politiciens s’engagent d'une manière servile, et jusqu’au ridicule, dans l'exaltation des choix des dirigeants de FCA et des efforts “titanesque » entrepris par Elkann (payé environ 9 millions d'euros en 2018) et Tavares (7,6 millions d'euros en 2019) dans le défi mondial de la voiture. Nous avons pu lire ces titres “Grande Alliance pour le défi de l'innovation”, ainsi que « Garanties de pas de fermetures d’usines dans le monde".

Les chiffres sont importants: FCA dispose de 102 usines, 199 000 employés avec un chiffre d'affaires de 110 milliards d’euros, un bénéfice en 2018 de 5 milliards et enfin une production de 4,8 millions de voitures. PSA dispose de 45 usines, 211 000 employés, avec un chiffre d'affaires de 74 milliards d’euros, un bénéfice en 2018 de 2 milliards et une production de 3.9 millions de voitures.

La somme de ces chiffres, qui exaltent tant les commentateurs, aboutit à 184 milliards d’euros de chiffre d'affaires, 410.000 employés et 8,7 millions de voitures, la quatrième place potentielle dans l'échelle mondiale des fabricants.

Un journaliste de Repubblica ironise sur une déclaration syndicale de la CGIL et de la CGT française qui a jugé « inacceptable la décision d'entamer des négociations pour la fusion sans information des travailleurs ». Si Elkann et Peugeot ne prêtent pas attention dans leurs affaires aux problèmes des travailleurs, l'énorme pouvoir des grandes multinationales met en évidence un énorme problème social et démocratique. Il exprime la réalité inacceptable du système capitaliste : qui peut décider quoi produire ? Qui peut décider du sort de régions entières et de centaines de milliers de travailleurs?

Nous sommes confrontés à un problème fondamental déjà souligné il y a quelques mois, « l'énorme problème posé par la propriété privée des principaux moyens de production par les multinationales, leur puissance gigantesque les rendant maîtres dans la détermination de la vie et de l'avenir de centaines de milliers de personnes et de territoires entiers ; le problème est que des choix si importants ne sont pas faits pour le bien commun, mais en fonction du profit, et de l'exploitation accrue des travailleurs et au mépris total des contraintes et de l'équilibre environnemental ».

La fusion entre les deux sociétés devrait être égale, c'est-à-dire 50% pour chacun des deux groupes, résultat de négociations complexes utilisant divers mécanismes financiers pour y aboutir.

Deux banques d'affaires aux côtés des deux entreprises ont conseillé dans la gestion de la fusion : pour FCA Goldman Sachs, pour PSA Messier Maris & Associés, acquis il y a quelques mois par Mediobanca. Actuellement, la FCA est contrôlée à 28,67% par Exor, c'est-à-dire la famille Agnelli, suivie par Harris associates avec 4,05%, Tiger global avec 3,71% et Black Rock avec 3,30%. Pour sa part, les principaux acteurs du PSA actuel sont la famille Peugeot avec 12,2%, l’État français avec 12,2%, le groupe chinois Dongfeng avec 12,2% et Norges BanK avec 2,93%. Le nouveau groupe, qui aura son siège à Amsterdam en Hollande (car cela coûte moins fiscalement...) auront ainsi pour actionnaires, Exor 14,3%, famille Peugeot 6,1%, État français 6,1%, Dongfeng 6,1%.

Le détail n'est certainement pas secondaire, surtout pour la famille Agnelli, la transaction implique la distribution d'un coupon maxi de 5,5 milliards d'euros aux actionnaires de FCA, un « cadeau » qui est encore supérieur à celui qui avait été prévu pour la fusion avec Renault. Peugeot a également décidé de donner une prime à ses actionnaires en leur distribuant 46% de sa participation dans Faurecia, la grande entreprise française de composants, soit un « don » proche de 3 milliards d'euros. Les deux protagonistes attendent de la fusion des synergies d’une valeur de 3.7 milliards d'euros annuel.

La présence géographique des deux maisons n'est que partiellement complémentaire et présente une forte faiblesse en Asie. FCA a une présence décisive aux États-Unis où il est le troisième constructeur automobile et est également fort en Amérique latine, mais il est en difficulté en Europe et a une présence insignifiante en Chine. Il a une marque mondiale comme la Jeep et des marques de luxe comme Maserati et Alfa Romeo qu'il veut relancer. Peugeot est très fort en Europe, surtout après l'acquisition et le sauvetage d'Opel en Allemagne, et de l'autre côté de la Méditerranée, mais est très faible en Chine où sa production en 2018 a subi une crise, de 750 000 voitures en 2014 elle est tombée à 250 000. Il dispose de quelques modèles très performants, mais surtout il est en avance dans le domaine des véhicules électriques où il dispose déjà aujourd'hui d'une large gamme de voitures électriques et hybrides. Il dispose également de deux plateformes modulaires de la dernière génération CmP et EmP, considérées comme particulièrement valables.

Au cours des 9 premiers mois de 2019, PSA a vendu 1.929.412 voitures en Europe tandis que FCA n’en a vendu que 727.700, avec une capacité de production de 1,5 millions, donc surdimensionné de 33%.

En Italie, FCA est toujours en tête avec une part de marché de 23,9%, mais a perdu 10% depuis le début de l'année, tandis que Peugeot reste stable, en deuxième position, même si les principaux concurrents, Volkswagen et Renault, enregistrent une croissance significative.

La gouvernance du prochain groupe

Qui gouvernera réellement dans la nouvelle société? C'est la question que beaucoup se posent, à commencer par les gouvernements locaux italiens qui craignent que les implantations industrielles de la péninsule soient victimes des inévitables restructurations de la production.

Le Conseil d'administration sera composé de 5 membres choisis par FCA, y compris Elkann, qui sera le président de la nouvelle société (mais trois doivent être indépendants) et de 5 de PSA, auxquels s’ajoute Carlos Tavares comme onzième, le puissant qui décide vraiment des opérations.

Tavares est considéré, après le sauvetage de Peugeot qui a garanti l'an dernier à la société une augmentation de bénéfice net de 47%, comme l’un des meilleurs managers et aussi l'un des plus grands connaisseurs du monde de l'automobile. Il a une réputation de ténacité et d’expert en réduction des coûts, mais certainement des têtes aussi. Le chef de la CGT française a déclaré que Tavares, en leur parlant, est seulement intéressé par les bénéfices. Il a fait carrière chez Renault et a joué un rôle clé dans l'alliance entre Renault et Nissan à tel point qu'il était l'homme de confiance du président Carlos Ghosn, aujourd'hui emprisonné au Japon dans l'attente de son procès pour détournement de fonds. Il s'installe ensuite chez Peugeot en 2014.

"FCA-Peugeot, les membres à la recherche de l'équilibre" est l'un des titres de La Repubblica, qui pose la question de savoir quelles seront les relations de force réelles entre les deux contractants au-delà des déclarations d'Elkann selon lesquelles un équilibre serait atteint dans la gouvernance et la gestion du nouveau groupe.

Qui aura le pouvoir de décider, quels seront les choix de production, ses investissements à faire et des orientations à venir? Où et comment réduire les coûts et donc aussi dans quels sites réduire la main-d'œuvre ? Certes, de nombreux éléments, y compris le rôle du 11e membre du Conseil d'administration, que Tavares, présumé être au-dessus des partis, suggèrent une prédominance du français comme plusieurs l'ont souligné.

C'est vrai, mais il est également vrai qu'un élément décisif du nouveau groupe sera désormais sa présence aux États-Unis où Mike Manley (3 millions son salaire en 2018, mais cette année, entre salaire, bonus et unités de stock restreintes il devrait atteindre 14 millions de dollars), apparemment à l'ombre dans la négociation va probablement gérer les opérations.

Beaucoup, même à gauche, pensent que nous sommes confrontés à une fusion entre l'ancienne Fiat et Peugeot, mais FCA est au contraire une entité complètement différente. Les commentateurs qui ont insisté sur la mise en place d'un groupe européen fort étaient très imprécis. FCA n'est pas italienne, mais américaine et le groupe sera une multinationale avec une base à la fois en Europe et aux États-Unis. Encore plus faux est l'espoir de quelques sujets Piémontais d'un axe Turin Paris. Le siège européen de FCA est toujours à Turin, mais la famille Turin qui la contrôle, même si beaucoup de ses enfants sont nés dans ces régions, est maintenant, comme un journaliste l'a appelé, une famille apatride, regardant ailleurs et avec des choix qui correspondent à la nouvelle nature de la société. Le président de Confcommercio torinese a eu le courage de dire la vérité: il craint que le centre de gravité du nouveau groupe exclut Turin et que prévale l'axe Detroit Paris. Préoccupation entièrement justifiée, et en effet certaine.

Exor ne passe pas un mauvais moment.

Si Turin et les travailleurs italiens peuvent sortir très mal de cette affaire, ce n'est pas la cas pour la famille Agnelli qui par l’intermédiaire d’Exor contrôle FCA et aura un poids important même dans le nouveau groupe.
Selon un journal italien, Elkann a apporté 3 ou 4 avantages à sa famille dont il est membre : l’obtention de 5,5 milliards d'euros de dividendes, dont 1,6 pour Exor qui est la propriété de la famille Agnelli. Ce montant s'ajoute aux 2 milliards résultat de la vente il y a quelques mois de Magneti Marelli. Ce montage a permis la valeur équivalente que PSA a reconnu FCA, d’où une fusion 50-50 et la composition paritaire du Conseil d'administration.

Le troisième est que Exor, en ce qui concerne les droits de vote, à l'expiration du Lock-up (voir ci-dessous) sera en mesure de revenir au-dessus de 28%, et aura donc une certaine possibilité de contrôler les décisions, même si le rôle de l'Italie sera toujours marginalisé vu la configuration globale du nouveau groupe.

Le quatrième et dernier avantage, c'est que au bout de trois ans la famille Agnelli pourra vendre ses actions et sortir de l'industrie automobile, comme elle a été tentée à plusieurs reprises, pour investir de l'argent dans des zones moins difficiles. Si la voiture reste une production centrale pour le capitalisme, il n'est pas certain que les vieilles familles comme les Peugeot et les Agnelli veulent y rester pour toujours.

L'Italie, son gouvernement et les autres acteurs du système

De nombreux chroniqueurs et commentateurs politiques italiens se sont montrés préoccupés par l'attitude plutôt lointaine du gouvernement italien face à un événement économique et social d'une si grande portée vis à vis des grands problèmes de la production et de l'emploi dans notre pays. A à la différence du gouvernement français qui, en plus d'être actionnaire de Peugeot, joue toujours un rôle interventionniste fort dans les acquisitions et les fusions industrielles et financières qui se rapportent aux entreprises de son pays.

Comme nous le savons tous, les gouvernements italiens et aussi les institutions régionales ne sont jamais intervenus dans les problèmes de Fiat et ont laissé la propriété familiale sortir du pays la plus grande entreprise italienne, construite avec le travail de nombreuses générations de travailleurs. Une richesse qui ne pouvait être que publique fut laissée entre les mains de quelques individus. Une véritable honte ! Pourtant, c’étaient des gouvernements qui avaient d'autres forces et d'autres poids politiques que le gouvernement actuel. Il est difficile pour ce gouvernement très faible, divisé et confus, dépourvu de connaissances et de capacités, d'avoir non seulement la volonté mais aussi la capacité d'intervenir. Tous les événements dramatiques industriels sont là pour confirmer cette hypothèse.cité


En outre, au-delà de quelques articles préoccupés par cette inactivité du gouvernement, tous les médias ont toujours soutenu l'inviolabilité de la propriété privée et les choix des actionnaires dominants ; encore une fois, ils ont applaudi au projet de la fusion FCA PSA. Au mieux, ils ont demandé au gouvernement d'avoir une petite attention pour essayer de “garantir” une certaine production et une certaine place dans notre pays. Ce gouvernement est certes nul, mais tous les commentateurs ne savent prononcer que des paroles serviles face au capital. Ils suggèrent qu'il peut y avoir un certain danger productif et social, mais ils ne l'expliquent jamais complètement, assumant plutôt le rôle de tranquillisants se contentant de répéter : « les entreprises ont dit qu'elles ne fermeraient aucune usine »


Un chroniqueur pour La Repubblica a été un peu plus explicite : « Elkann et Tavares ne peuvent certainement pas promettre (et en fait ils ne le font pas) de garder tous les 400 000 emplois que le nouveau groupe aura, un nombre égal aux habitants d'une ville comme Bologne » avant d’ajouter : ”Ainsi la tutelle des établissements italiens dépendra avant tout des missions productives qui leur seront assignées et de la disposition des nouveaux axes stratégiques du groupe: les centres de recherches, les usines pour la construction de moteurs électriques et de batteries".


Aucun d’entre eux ne peut penser que la seule force qui puisse être efficace pour défendre les emplois, les conditions de travail et les productions utiles à la société serait la mobilisation de la classe ouvrière, une mobilisation ne pouvant réussir que dans une action et une solidarité internationale de tous les travailleurs impliqués dans le processus de fusion. C'est la seule façon de contrer les projets d'exploitation de ceux qui dirigent.

Il n'est venu non plus à l'esprit d’aucuns d’entre eux, lorsqu'ils décrivent la transition vers les voitures électriques, que celles-ci nécessitent moins de pièces mécaniques, et donc beaucoup moins de travailleurs employés, que cela peut entraîner une autre répartition du temps de travail, c'est-à-dire par la réduction des heures de travail avec un un salaire égal.

Les travailleurs et les syndicats

La Fiom a pris l'initiative de produire une déclaration commune avec la CGT française soulignant les grands avantages de l’opération pour les propriétaires et les dangers auxquels sont confrontés les travailleurs. Ils se sont engagés en faveur d'une consultation commune et d'une action visant à promouvoir la coordination et la solidarité de tous les travailleurs et à assurer leur avenir professionnel et contractuel.

Le flyer de Fiom presse le gouvernement d'intervenir pour assurer la relance des usines italiennes et l'ouverture d'une négociation avec l'entreprise. Il ne faut pas oublier qu'un autre conflit difficile est déjà en cours, celui concernant la CNH, la société qui produit des machines agricoles, et ses plans de restructuration et de fermeture d'usines en Italie.

Plus soumis et complètement passifs, la Fim et l’Uilm, évaluent positivement le plan des patrons, demandant ensuite des garanties d’emplois très générales.

Pour les travailleurs et de travailleurs, c’est l’heure de l'internationalisme, pour l'unité des travailleurs et des travailleurs dans tous les établissements et les territoires concernés. La mobilisation doit être internationale, commune, les syndicats doivent construire une action unifiée, une plate-forme qui défend les intérêts de tous et c'est seulement de cette manière qu'ils peuvent faire face aux directions de FCA et PSA et à celle du nouveau groupe.

Les travailleurs doivent exiger que les syndicats des deux pays, voire de tous les pays européens concernés, et donc surtout des pays allemands, se rencontrent et travaillent rapidement dans cette direction. Encore mieux si une grande réunion commune se tenait avec la participation de nombreux délégués et délégués.

Mais les dirigeants syndicaux qui défendent en paroles le concept d'unité européenne devraient essayer, s'ils étaient sérieux, d’avancer vers cet objectif, non pas du point de vue de la classe capitaliste, mais de celui des intérêts des classes ouvrières, de la véritable Europe, sociale et démocratique.

Comme l'ont écrit nos compagnons du cercle de Turin dans une brochure : immédiatement, nous devons commencer à construire des relations avec les travailleurs du groupe PSA. Les syndicats doivent s’unir pour éviter la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes. Le seul moyen d'éviter que la restructuration ne laisse certains sans travail c’est de nous défendre tous ensemble, travailleurs français, italiens et autres.

L’attitude syndicale ne peut pas être d'accepter une détérioration des droits ou des salaires pour essayer obtenir des patrons qu’ils ne ferment pas d’usines ou qu’ils ne licencient pas. Pour que l'engagement et la lutte soient l'affaire de tous, l'objectif de la répartition du travail entre tous, donc celui de la réduction du temps de travail sans perte de salaire, doit être au cœur des revendications, ainsi que les revendications de moins d'exploitation –de plus en plus intolérables - et d’augmentations de salaire.

La lutte pour les droits et l'emploi, pour les salaires, ne doit pas avoir de frontières. Les frontières ont été construites par les patrons pour diviser les travailleurs. L'unité des travailleurs est réalisée à la condition de briser les frontières. Les luttes syndicales doivent être fondées sur des plateformes revendicatives qui concernent, par delà les frontières, tous les établissements d’un même groupe.


 

 


 


 


 


 

Publié dans Fiat, PSA

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