Volswagen : une attaque contre tous les travailleurs et les travailleuses

Publié le par NPA Auto Critique . Un aentretien du journal AK Analis&Kritik. Traduction Pierre Vandevoorde

Si Volkswagen procède à des licenciements massifs, les salariés du groupe ne seront pas les seuls à avoir un problème, explique Lars Hirsekorn dans cet entretien. 

Début septembre, coup de tonnerre : la direction de Volkswagen a dénoncé l'accord d'entreprise qui s'appliquait à 120 000 salarié.e.s et à six sites - et avec lui la garantie d'emploi en vigueur depuis 30 ans. Peu après, on a appris que la fermeture de trois sites et des licenciements collectifs étaient également envisagés. La direction a abordé le deuxième tour de négociations collectives avec une liste dite "empoisonnée", qui envisage entre autres une réduction forfaitaire des salaires de dix pour cent, un niveau zéro pour les négociations collectives en cours ainsi que la suppression de certaines primes et indemnités. Ce n'est que sur cette base que l'on pourrait commencer à réfléchir à d'autres formules de garantie de l'emploi et de maintien des sites.

Lars Hirsekorn, membre du comité d'entreprise de Volkswagen à Brunswick, explique dans cet entretien pourquoi il considère que ce que la direction dit de la crise est aussi faux que l'idée de construire davantage de voitures électriques. Et pourquoi les militant.e.s de gauche doivent être plus audacieux dans leurs revendications.
IL ravaille depuis 1994 chez Volkswagen à Braunschweig ; son dernier poste était conducteur d'installation dans la fabrication des tiges de piston. Depuis mai 2022, il est délégué du personnel détaché.

Quelle est l'ambiance actuelle chez vous à l'usine ?
Lars Hirsekorn : C'est très mitigé. Il y a des gens qui croient à la thèse de la crise que l'entreprise propage et qui ont peur pour leur emploi. Et il y a beaucoup de camarades de travail qui sont très en colère et qui se posent deux questions :
C'est quoi la crise ici ? Les 4,5 milliards d'euros que le groupe vient de déverser sur les actionnaires en juin dernier ne sont pas remis en question. En même temps, on rabaisse le dur travail de nos collègues. Le magazine Stern a publié un article dans lequel il était dit que nous étions des "asticots gavés de lard". Cela a soulevé un vent de colère parmi nos camarades de travail. Bien sûr, les salaires sont relativement bons dans l'industrie automobile allemande, mais cela doit aussi être mis en rapport avec les conditions de travail souvent difficiles.
La deuxième question est la suivante : que valent les accords collectifs de garantie de l'emploi s'ils peuvent être résiliés aussi facilement ? A l'époque, nous avons payé cet accord au prix fort, avec une réduction des temps de pause et un sacrifice salarial de 20 pour cent. Maintenant, la direction résilie cet accord juste au moment où il apparaît qu'il est nécessaire. Les personnes qui ont négocié ces accords du côté d'IG Metall ont cru à l'époque qu'une résiliation reviendrait trop cher à Volkswagen. En effet, celle-ci a maintenant pour effet de remettre en vigueur la convention collective de 1995, qui prévoit certes des horaires de travail plus longs mais avec une compensation salariale intégrale, des pauses supplémentaires et des primes plus élevées pour les jours fériés. Mais Volkswagen se dit : OK, cela va nous coûter un milliard de plus, mais si nous menaçons de licencier et de fermer des usines, nous pouvons extorquer 3,5 milliards supplémentaires à notre personnel. Je pense que nous serions bien avisés, en tant que syndicat, de parler davantage des milliards versés aux actionnaires et de dire que nous ne le tolérerons pas.

Ce qui a déclenché les cris d'alarme actuels, c'est d'abord une baisse des bénéfices de Volkswagen, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il n'y a plus d'argent. Cette année, le groupe a déjà réalisé près de 13 milliards de bénéfices. Malgré cela, cinq milliards doivent être économisés sur le dos des salariés. Comment cela se combine-t-il ?
Dans le syndicat, on trouve des gens qui disent que le groupe a besoin de ces bénéfices pour financer la transformation vers" l'e-mobilité". Il y en a beaucoup qui seraient déjà très satisfaits si on pouvait obtenir que l'accord qui vient d'être conclu dans l'industrie métallurgique et électrique soit étendu à VW, d'autres trouvent que c'est trop peu. Aux premiers, je répondrais au moins la chose suivante:

si on accepte que la restructuration de l'industrie soit financée sur le dos des salariés, alors il ne doit pas y avoir de distribution de dividendes - même si c'est un peu plus compliqué que ça du point de vue du droit des sociétés anonymes. Toutes ces années, des milliards ont été distribués, surtout aux détenteurs des actions classiques: Porsche, au Land de Basse-Saxe et au Qatar. L'argent est là. Si nous discutons d'une crise chez Volkswagen, nous devons en premier lieu nous pencher sur les structures internes. L'a notion de centre de coûts y est très ancrée : par exemple, lorsqu'une unité doit être construite, le budget est tellement réduit lors de la commande qu'elle n'est pas entièrement fonctionnelle au moment de sa mise en service. Tu peux économiser autant que tu veux sur les frais de personnel, cela ne changera rien aux problèmes de fond.

-La prise de conscience de la nécessité pour l'industrie automobile de prendre le virage de l'électromobilité n'est pas nouvelle. Est-ce qu'il n'y a pas aussi de la colère parmi les employés parce que la direction de l'entreprise dormait quand il fallait passer à l'action ?
Je ne dirais pas "dormir". L'ancien patron de Volkswagen, Martin Winterkorn, avait clairement dit à l'époque qu'il parviendrait à rendre le diesel si propre qu'il n'aurait pas à fabriquer de voitures électriques. C'était son fantasme. C'est ainsi que la fraude au diesel a vu le jour. Ils ont menti au monde entier, ils n'ont pas dormi. Malgré tout, on constate aujourd'hui encore dans une partie du personnel la réaction suivante : si les voitures électriques ne se vendent pas aussi bien que prévu, nous continuerons à construire des voitures à combustion. Je ne peux pas être d'accord avec ça.

-Donc pas de colère ?
Si, un grand nombre de collègues sont en colère contre les membres du directoire. Herbert Diess par exemple, également un ancien président du directoire, voulait construire la voiture électrique du futur avec le programme "Trinity" et a lui aussi échoué. Malgré cela, il a reçu des millions après son départ, tout comme d'autres anciens membres du directoire. (Diess et Winterkorn ont chacun reçu environ 30 millions d'euros de Volkswagen dans le cadre du maintien de leur salaire, de leurs bonus et/ou de leurs droits à la retraite, note ak). Les dirigeants se refilent des contrats qui leur permettent de continuer à toucher des millions même en cas de défaillance majeure lorsqu'ils quittent le groupe. C'est au conseil de surveillance du groupe qu'il reviendrait d'empêcher cela.

-Après la crise financière, lorsque les chiffres des exportations ont chuté, tout comme en 2020 pendant la pandémie, l'IG Metall a renoncé à une augmentation des salaires. Aujourd'hui, le syndicat a tout de même entamé les négociations collectives chez Volkswagen avec une revendication de sept pour cent. Est-ce que l'attitude a changé ?

Oui, en partie. La plupart des entreprises qui ferment leurs usines chez nous n'ont pas de problèmes de profit, des entreprises comme ZF ou Mahle par exemple. La production n'est pas abandonnée, mais délocalisée à l'étranger. Pas particulièrement dans des pays à bas salaires, il s'agit plutôt d'espaces où les syndicats sont peu présents. J'estime que ce qui est en train de se passer chez Volkswagen n'est pas simplement une offensive contre les salarié.e.s, mais une offensive du BDI (Fédération de l'industrie allemande, ndlr) et d'autres organisations du capital contre la classe ouvrière en Allemagne dans son ensemble. Le BDI dit assez clairement qu'il s'agit d'affaiblir l'ensemble de la classe ouvrière. Sur ce point, je suis aussi relativement en phase avec une grande partie des syndicats avec lesquels je suis souvent en conflit. Quant à savoir quelles conclusions en seront tirées, c'est encore une autre question.

-Dans des pays comme la Grande-Bretagne ou la Finlande, on a pu observer ces dernières années le comportement agressif des gouvernements de droite envers les syndicats. Dans un contexte où nous assistons nous aussi ici à une percée des forces de droite : Quelles sont, selon toi, les conséquences sociales de ce qui se passe chez Volkswagen ?

Sur le plan de la société dans son ensemble, c'est une catastrophe. Nous faisons partie des entreprises bien organisées sur le plan syndical, et si quelque chose de ce genre réussit chez Volkswagen, alors les syndicats dans leur ensemble se retrouveront acculés. Et je pense que c'est exactement l'objectif. En même temps, il est malheureusement vrai que même au sein du personnel, tout le monde ne comprend pas ce que fait l'AfD, quelles positions ils défendent.
Il faut prendre le temps de faire comprendre que nous vivons dans une société de classes, pas dans un monde de partenariat social.

-Dans quelle mesure la présence de l'AfD se ressent-elle chez Volkswagen à Braunschweig ?
Il y a un certain nombre de conseillers municipaux qui travaillent chez Volkswagen, mais ils ne jouent pour l'instant aucun rôle dans la vie de l'entreprise. Néanmoins, on entend régulièrement la question suivante de la part du personnel : pourquoi IG Metall fait-il autant de choses contre l'AfD ? Moi je veux qu'ici, on parle juste des salaires, pas de politique. Alors il faut leur expliquer : Tu veux parler des salaires, mais l'AfD ne veut pas que l'on puisse continuer à faire grève. Et quand l'AfD sera au pouvoir, nous ne parlerons plus de salaires non plus. Il faut prendre le temps de faire comprendre que nous vivons dans une société de classes, pas dans un monde de partenariat social.
J'ai pris la parole lors d'une assemblée générale du personnel où j'avais en main les annuaires syndicaux de 1929 à 1933 et j'ai dit : "Hé, regardez par là qu'est-ce que vous remarquez ? Celui de 1933 est vraiment très mince. C'est parce que la Confédération générale des syndicats allemands a fait une erreur d'appréciation catastrophique. Ils ont pensé qu'en faisant des courbettes et en restant les bras croisés, ils pourraient survivre au fascisme. La conséquence, c'est ce tout mince volume ici."

-Toi et quelques collègues, vous avez des idées concrètes sur la manière dont les choses pourraient se dérouler différemment et sur ce à quoi pourrait ressembler une industrie automobile durable. Vous demandez par exemple qu'au lieu de construire des voitures particulières, on construise des véhicules de transport public électriques. Peux-tu nous expliquer comment tu envisages cela ?
Pour nous, c'est-à-dire pour ce petit cercle de personnes qui travaillent sur le sujet, ces discussions jouent un grand rôle en ce moment. Car la question est de savoir dans quelle mesure je soutiens les revendications de mon syndicat et du comité d'entreprise ? Et dans quelle mesure est-ce que je pose mes propres revendications, parce que je ne peux pas soutenir certaines choses ? Certains membres d'IG Metall demandent par exemple un nouveau subventionnement public pour l'achat de voitures électriques. Pour des raisons de bon sens, je ne peux tout simplement pas soutenir une telle mesure, car il est insensé de construire encore plus de voitures qu'il n'en existe déjà. Des documents émanant de la direction d'IG Metall concluent qu'il serait raisonnable d'avoir au maximum la moitié des voitures actuelles sur les routes dans dix ou quinze ans.
Si c'est cela qui est rationnel, je dois alors réfléchir à ce que je vais faire de ces travailleurs. Nous pouvons bien sûr réduire le temps de travail. Ou nous pouvons construire quelque chose d'utile pour la société, comme un tramway. En même temps, il faut dire que si la société ne demande pas de tramways, cela n'aurait pas de sens que nous en construisions, même si le groupe nous appartenait.

-Réussissez-vous à faire adhérer vos collègues à ces idées ?
En 2018, j'ai tenu un discours contre la poursuite de la production automobile, quel que soit le type de propulsion, lors de l'assemblée du personnel à Braunschweig. J'ai été plus applaudi que je ne le pensais. Si j'en parle aujourd'hui, je pars déjà du principe que je ne serai plus aussi applaudi, car l'ambiance sociale a changé. Néanmoins, je rencontre tous les jours des gens qui me disent : "J'ai compris ce que tu fais là, et je trouve ça bien" D'autres disent que je vote pour toi parce que tu fais de la politique pour les travailleurs, mais pas pour tes trucs écolos".

-Comment les gens qui sont solidaires de ta démarche peuvent-elles vous soutenir, toi et tes collègues ?

Nous sommes heureux quand les gens viennent aux manifestations et apportent des banderoles avec leurs propres revendications. Je pense que le mouvement pour le climat s'est laissé un peu rabaisser par le pilonnage des médias. Mais aussi le reste de la gauche. Il faut en faire plus, et cela doit être plus courageux et plus honnête.
Par exemple, le débat sur l'hydrogène : bien sûr, cette technologie, qui n'est de toute façon pas utilisable pour les voitures, a ses problèmes, mais il est certainement judicieux de convertir une aciérie à l'hydrogène. Le gouvernement veut laisser l'hydrogène aux mains du marché libre. C'est une folie, l'industrie doit être placée sous le contrôle de la société. Nous devons être plus audacieux dans nos revendications. Lorsque je parle par exemple avec des gens de l'ancien fabricant de pièces automobiles GKN à Florence, où le personnel a repris l'entreprise et veut passer à des produits respectueux du climat, tous disent que c'est super, voilà des gens qui se défendent.
Même ceux qui disent d'habitude : "Va-t'en avec tes conneries écologiques" le disent. C'est un bon point de départ. Il ne suffit pas de dire : OK, une entreprise va fermer, nous allons faire un plan social. Ce n'est pas ainsi que nous avancerons. Notre résistance doit être plus importante et plus générale.

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