Automobile : la double exigence sociale et écologiques

Publié le par Revue "Tout est à Nous Commsiion écologie du NPA

Commençons par quelques chiffres marquants pour l’année 2010 et vérifiés en 2011 :

- année record des émissions de gaz à effet de serre : après l’augmentation de 40 % entre 1990 et 2008

- année record de chaleur depuis un siècle au niveau mondial : sécheresses, crises agricoles et alimentaires

- record mondial historique de ventes de véhicules avec 3, 6 millions de véhicules vendus dans le monde pour PSA. Le président du directoire de PSA a quasiment triplé sa rémunération, à 3, 25 millions d’euros.

- et tout récemment près de 6 300 suppressions d’emplois annoncées par PSA après les dizaines de milliers déjà perdus notamment chez les sous-traitants et équipementiers depuis 2008.

Quel est le rapport entre l’industrie automobile et la crise écologique ?

1. L’industrie automobile est le parfait exemple du productivisme aberrant du système capitaliste, qui continue à vendre des bagnoles à raison de deux par foyer alors que le pétrole devient rare et cher, et que notre air devient irrespirable.

L’estimation de la « fin du pétrole » donnée à 40 ans par les plus optimistes des dirigeants des majors du secteur est ramenée à moins de 35 ans si on tient compte de l’augmentation globale constante de la consommation de pétrole année après année. En 2009, l’Agence internationale de l’énergie a reconnu avoir sous-estimé la baisse de production des champs pétrolifères, tandis qu’il est désormais admis que les pays producteurs de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) ont déclaré des réserves supérieures à la réalité afin de maintenir des prix forts. L’exploration de nouvelles ressources comme les pétroles, gaz et huiles non conventionnels (comme les gaz de schiste), pose du point de vue même des capitalistes des obstacles importants d’un point de vue technique et financier. Leur exploitation, s’ils y arrivent, posera en outre de graves problèmes écologiques (pollution de l’eau notamment) tout en continuant à aggraver l’émission de gaz à effet de serre.

On ne peut ignorer non plus les impacts sanitaires du trafic routier sur la santé humaine (sans parler des accidents de la route), notamment du fait de la pollution aux particules fines causées par la combustion d’énergies fossiles (dont le bois). Chaque année, plus de 2 millions de personnes décéderaient d’une exposition aux particules fines présentes dans l’air intérieur et extérieur, estime l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans une étude publiée le 26 septembre dernier. Cette pollution serait en France la cause de 40 000 morts prématurées. Mais il n’y a pas que l’usage routier du pétrole qui est en cause : en Île-de-France, la consommation annuelle des avions atterrissant et décollant des aéroports parisiens équivaut à la consommation de l’ensemble des véhicules sur route dans la région.

La place qu’occupe l’automobile dans nos vies et dans nos espaces urbains est une autre donnée tout à fait structurante. Le coût de l’entretien d’une voiture individuelle pour un ménage est tout simplement délirant : jusqu’à 25 % du salaire annuel moyen soit plus de 400 heures de travail. « En tant que moyen de transport quotidien, la voiture individuelle est manifestement irrationnelle […]. Toute la logique de la société bourgeoise favorise d’ailleurs toujours de nouveau des solutions axées sur la propriété privée et sur la vente de marchandises plutôt que des solutions axées sur la satisfaction des besoins et sur les services publics, même si les dernières sont […] plus rationnelles et moins coûteuses.1 »

2. L’industrie automobile est également un parfait exemple de la casse humaine et de la pénibilité du travail car les « bons résultats » de PSA s’accompagnent de cortèges d’intérimaires, d’une augmentation des cadences, du travail de nuit et les dimanches, d’un chantage à l’emploi et aux délocalisations. « Cela provoque la désagrégation des collectifs de travail et militants. En même temps, les conditions de travail se dégradent avec l’intensification du travail, la suppression des temps de pause, de «respiration», la multiplication des outils de contrôle, la mise à mal de la séparation temps privé-temps professionnel, le développement du travail de nuit, du travail posté, la taylorisation du travail administratif et commercial. L’individualisation du travail et de la rémunération, la précarisation de l’emploi, engendrent souffrance et stress jusqu’au suicide, sans que se développent les ripostes collectives suffisantes. »2 Il y a un lien très clair entre augmentation de la productivité, nouvelles méthodes de management et souffrance au travail, jusqu’aux gestes les plus désespérés. C’est cela aussi, le bilan d’une industrie qui n’est pas au service des intérêts du plus grand nombre.

Répondre en posant la perspective de « produire autre chose autrement »

Ce système nous réduit à l’état de machines : les salariés de l’automobile payent très fort le prix de la surproduction. Ce ne sera pas un nouveau plan de relance d’un véhicule prétendu « plus propre » qui va les tirer du mauvais pas. Car les véhicules qui roulent aux agrocarburants ôtent le pain de la bouche aux peuples qui cultivent les plantes pour nourrir les 4x4 plutôt que leurs ventres. Car le véhicule électrique, fort coûteux à l’achat, sera un véhicule à électricité nucléaire. Car les attaques patronales ont pour objectif d’effectuer des gains de productivité qui pour les patrons s’accompagnent invariablement d’une augmentation de leurs profits et de suppressions d’emplois. Aucun miracle technique ne permettra de se sortir de cet univers de la concurrence capitaliste et aucun miracle technique ne viendra résoudre l’aberration écologique et économique d’un système de surproduction et de gaspillages avec des cycles de fabrication aux quatre coins du monde, avec des produits à « obsolescence programmée », etc. Il n’y aura donc pas non plus de miracle social tant que l’objectif de ces productions sera les profits et la productivité avant d’être la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des équilibres écologiques.

Certes, la nature de la crise actuelle de l’industrie automobile n’est pas comparable à celle du textile ou des charbonnages : la production de voitures dans les pays occidentaux va continuer, dans un cadre de forte pression à la productivité et de concurrence accrue entre les salariés. Mais les marchés d’avenir pour les constructeurs se situent bien évidemment dans les nouveaux pays industrialisés. Même si ce n’est pas du fait des industriels que se pose la question d’une reconversion (ou d’un arrêt) de la production automobile, il est nécessaire pour des anticapitalistes conséquents de mettre cette perspective dans nos analyses et nos discours. Pas simplement parce que l’avenir de la ressource pétrole est limité, mais aussi parce que du point de vue du basculement climatique en cours, pour ne pas trop dépasser une hausse générale des températures de 2°C (qui entraîne des effets majeurs sur l’agriculture et la hausse du niveau des mers), il faudrait commencer à faire décroître les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 25 à 40 % d’ici 2020 et de 80 à 95 % d’ici 20503 !

La nécessité d’articuler défense des emplois et transition écologique

Aussi nous faut-il donner un sens plus prospectif et plus global aux luttes quoti-diennes dans les ateliers, aux luttes pied à pied pour une embauche, une augmentation de salaire : exiger de devenir nous-mêmes les producteurs associés des biens et services nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des limites écologiques.

Dès lors, la sauvegarde des emplois et des collectifs de travail doit s’appuyer sur les revendications d’interdiction des licenciements et d’embauche des précaires, mais aussi de réduction massive du temps de travail sans flexibilité et d’amélioration des conditions de travail (pénibilité, refus du travail posté, de nuit et de week-end).

Face aux plans de fermeture, aux licenciements massifs qui les menacent, les salariés de la filière auto n’ont d’autre choix que de s’organiser à la base et d’unir leurs résistances, en refusant à la fois la concurrence entre les sites et en refusant aussi d’entrer dans le jeu des dirigeants qui promettent des plans de relance de nouveaux véhicules c’est-à-dire qui veulent nous faire avaler leur productivisme destructeur au nom de l’emploi. Il paraît de plus en plus difficile d’aborder ce sujet sans aborder la question des délocalisations et relocalisations. Disons-le clairement : les relocalisations sont pour nous une réponse à la gabegie capitaliste globale qu’il faut distinguer des relocalisations comme réponse chauvine aux délocalisations. Les relocalisations, que ce soit dans les productions industrielles ou agricoles, répondent à l’exigence écologique d’économies d’énergies dans les transports et de productions adaptées à des besoins locaux plutôt que mondialement standardisées. Il ne s’agit pas de fabriquer ici pour exporter ensuite ailleurs. L’offensive du FN en direction de l’électorat ouvrier, et notamment sur le secteur automobile, à grand renfort de thèmes protectionnistes, doit nous amener à affronter la question. Le protectionnisme peut tout à fait être mis au service des intérêts patronaux. Notre ligne de démarcation se situe donc sur les intérêts « de classe » communs aux producteurs et usagers.

Ces revendications peuvent paraître un peu « planantes » à première vue. Nous avons bien conscience des difficultés objectives face aux plans de suppressions d’emplois synonymes de chômage, de pauvreté.

Quels sont nos points d’appui : lutte des classe et planification écologique

Nous pouvons nous appuyer :

- sur une organisation d’êtres humains, avec une expérience et un savoir-faire industriel convertibles pour faire face à la fin des énergies fossiles. Les processus complexes et économes mis en œuvre aujourd’hui dans l’industrie automobile pourraient être appliqués à la production d’éoliennes et d’autres équipements pour la production d’énergie renouvelable, de tramways, de trains, de vélos, d’autres véhicules et de systèmes pour des organisations de transport durable. Pour cela, il nous faut un plan. Dès maintenant, faire le choix d’une sortie maîtrisée du tout bagnole/pétrole, comme nous proposons une sortie du nucléaire, doit être notre objectif. Nous devons le dire tranquillement. Le dépérissement de l’usage de la voiture, ou du moins les conditions d’accès au carburant, vont devenir de plus en plus prégnants et de plus en plus inégalitaires. Il faut donc entrer en campagne pour exiger le développement des transports collectifs et leur gratuité : c’est une voie pour la conversion de l’industrie automobile en production socialement utile et écologiquement soutenable. Ce thème permet de faire le lien avec les quartiers populaires, les campagnes délaissées. Il est éminemment social et écologique. Il parle aussi de justice territoriale et d’un autre rapport aux déplacements et à l’organisation de la vie.

- Sur une volonté politique née de la lutte des classes. Les travailleurs de l’automobile doivent se tourner vers la société en général pour chercher un soutien. Leur drame industriel doit devenir collectif pour refuser les prêts et aides de l’État à des entreprises qui font des profits et licencient tout en détruisant la planète. Tout comme nous revendiquons une mise sous contrôle de la filière énergétique, avec la réquisition des profits et des moyens de production de grands groupes comme Total, nous devons exiger que la production des modes de transports se fasse sous contrôle de la population et des salariés, dans le respect des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre responsables du cataclysme climatique.

- Pour faire le lien entre cette planification écologique et les luttes dans les usines, sans doute qu’il faut mener plusieurs expériences de production alternative, de plan de reprise par les salariés. Mais nous nous heurterons alors à la notion de « rentabilité » dans le cadre du système existant. La façon dont nous pouvons utiliser la notion de production alternative doit souligner que nous voulons utiliser nos compétences pour produire des biens nécessaires et socialement utiles, indépendamment du fait qu’ils soient rentables au sens capitaliste du terme4.

Notre raisonnement implique probablement une révolution dans la lutte des classes pour la transformation révolutionnaire écosocialiste de la société. C’est sans doute une rupture avec une vision productiviste portée notamment par une grande partie du syndicalisme dominant en France, mais aussi avec une certaine lecture du marxisme et des développements productifs qui doivent conduire l’humanité au bonheur.

Il est vrai aussi que l’espace est mince entre une posture propagandiste écologiste et le soutien inconditionnel aux emplois des employeurs, fussent-ils liés à une industrie mortifère.

Notre choix, entre ces deux écueils de taille, c’est de miser sur les luttes et les résistances qui naissent sur le terrain, dans les ateliers, pour donner un sens à la mobilisation, à une perspective écosocialiste qui porte l’exigence d’une appropriation des moyens de production, du partage du temps de travail et d’une relation d’équilibre entre nos sociétés et leur environnement. Sans ce lien nécessaire, nous ne serons pas à la hauteur de la situation et resterons les instruments d’un capitalisme ravageur.

La commission nationale écologie du NPA

1. E. Mandel « La crise de l’industrie automobile », article paru dans Inprecor (n°4), juillet 1974.

2. Robert Pelletier « Le travail tue et mutile avant l’âge de la retraite » paru dans Tout Est à Nous, 21 octobre 2010.

3. Voir L’impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro. La Découverte, 2010. p.107.

  1. extraits de l’article « Entre crise économique et crise écologique, l’industrie automobile a-t-elle encore un avenir ? » de Lars Henriksson, syndicaliste à Volvo cars à Göteborg (Suède).
Partager cet article :

Publié dans Ecologie

Commenter cet article