Sauver les entreprises et sacrifier les travailleurs

Publié le par Dianne Feeley. Solidarity. Mis en ligne sur ce blog le 2 juiillet 2010

Cet article, sur  l'automobile aux Etats-Unis, a été publié sur le site américain de Solidarity, une organisation démocratique, socialiste révolutionnaire, antiraciste et féministe. Il a été écrit par Dianne Feeley qui a travaillé pendant de longues années chez American Axle à Détroit et chez Ford à Détroit.

La traduction en français est celle du blog npa auto critique


Dans son rapport du 30 mars 2010, consacré à   ce que General Motors et Chrysler devraient  faire pour obtenir d'autres prêts du gouvernement, Obama avait exigé de tous des sacrifices supplémentaires.

Il avait ainsi affirmé que tout  le monde devait  s'atteler à maintenir l'industrie automobile américaine à flot. Mais la réalité, c’est que cette industrie s’est constamment  structurée et restructurée au cours des 30 dernières années, et que  ce sont toujours les   travailleurs de l'automobile dont on a attendu des concessions tant en termes de réduction de salaires que de conditions de travail.

Mais la déclaration du 30 mars d’Obama démarre de travers. Vouloir restaurer la rentabilité de l'industrie dans la production de voitures et camions, même avec le  remplacement par la voiture électrique du moteur à combustion, n'est pas sérieux.

Au plan mondial, toutes les entreprises ont  produit jusqu’à  73 millions de véhicules et emploient  huit millions de personnes. Les  production américaine et européenne représentent environ la moitié de ce total. Mais en 2008 les usines en  Chine ont produit plus de véhicules que ne l’ont fait les « big three » aux États-Unis.
 
Communément appelé "Detroit", les Big Three produisent environ la moitié de leur voiture et de camions aux Etats-Unis. Depuis  bien avant la Seconde Guerre Mondiale, Ford avait  construit des usines en Afrique du Sud, au Canada et au Mexique. Et aujourd’hui, General Motors semble la plus engagée dans une stratégie mondialisée d'implantation.

 

Auparavant, des usines de production étaient installées dans d’autres pays principalement pour accéder aux marchés locaux. Mais en raison de  la concurrence croissante, de la baisse du niveau des ventes dans les grands pays, des nouveaux accords commerciaux, et des révolutions logistiques permettant d’étendre les chaînes d’approvisionnement à travers pays et régions, tous les constructeurs automobiles sont devenus internationaux .

De toutes les façons, qu’est ce qu’un qu'un véhicule américain : celui  fabriqué aux États-Unis, ou bien celui  produit par une société dont le siège est aux Etats-Unis, ou bien celui qui contient plus le plus de pièces fabriquées ici ?

J’ai travaillé dans une usine de montage de Ford qui produisait l’Escort , et qui avait  été commercialisée comme la première voiture « mondiale ». Je me souviens que  le moteur venait  du Brésil. À l'époque, les entreprises automobiles américains vendaient  près de 11 millions de véhicules. En 2007, le total des  ventes américaines  totales avaient dépassé  16,1 millions de voitures, et  il a chuté à 13,2 millions en 2008.

Aujourd'hui, les transplants (les entreprises étrangères ayant des usines des Etats-Unis  construisent  3,5 millions de véhicules avec une part croissante du marché américain. Aujourd'hui encore, les transplants  utilisent d’avantage de pièces fabriquées  aux États-Unis que les voitures proprement "américaines"

Avec le premier choc pétrolier en 1974-75, les Trois Grands ont vu leur profit par véhicule menacé alors qu’ils étaient soumis à une concurrence accrue. Ils ont résolu cette difficulté  en introduisant les 4x4, vans et autres SUV  pour  abandonner l’essentiel de la production de petites voitures  à la concurrence.

Cela a, dans un premier temps,  restauré leur rentabilité (10.000 dollars  de profit par van ou SUV) jusqu'à ce que Toyota et Kia commencent  à venir aussi concurrencer avec succès  ce marché.  Comme travailleur de l’automobile,  j'étais douloureusement peinée de voir, lorsque  je garais ma voiture dans le parc de l'entreprise, combien de travailleurs achetaient  ces véhicules surdimensionnés et coûteux.

En raison de  la course à  la rentabilité, les entreprises ont introduit de nouvelles technologies et la production allégée Elles  ont également opposé  les usines  contre les autres afin  de trouver une main-d'œuvre suffisamment désespérés pour accepter des concessions. L'externalisation, qui sort la fabrication  de pièces d’une entreprise, pour le fournir à une compagnie aux salaires plus faibles, a aussi été développée.

Dans les années 1990, les Trois Grands ont vendu la plupart de leurs usines de pièces (Visteon, Delphi, American Axle, etc.) Cela a permis de nouveaux accords entre les fournisseurs de pièces et de l'UAW, le « syndicat » américain des travailleurs de l’automobile. Le plus important a été  l'introduction des salaires à deux niveaux, avec les nouveaux embauchés permanents  ne recevant que  la moitié des salaires des anciens embauchés, et sans avoir d’autres  avantages équivalents à ceux des anciens..

Ces deux niveaux brisent la solidarité entre les générations de travailleurs. Pourquoi le nouvel employé défendrait-il celui qui a un salaire plus élevé et plus d’avantages, sans parler des retraites  qu’il n’aura jamais. A propos de cette question des retraites, franchement, une des plus grandes préoccupations de GM est que ses 391.000 retraités affiliés à l’UAW et leurs épouses survivantes ne meurent pas  assez vite!

En 1979, au moment de la faillite  de Chrysler, l'UAW représentait 1.500.000 travailleurs de l'automobile. En 2008 le total des membres de l’UAW (y compris les travailleurs de l'Etat, les travailleurs des soins de santé et les syndicats d'étudiants diplômés) était  à 431.000 - moins que le nombre de travailleurs chez General Motors dans les années 70 .

 

Actuellement, GM emploie  61.000 travailleurs, ouvriers de production et travailleurs qualifiés, dans 47 usines. Elle prévoit en 2014 un effectif de 46.400 avec la fermeture de 15 usines. Et  les effectifs salariés devraient chuter de  3.000 au cours de la même période.

Des crises interdépendantes

Aujourd'hui, l'industrie automobile fait face à des crises interdépendantes : l'échec de l'industrie à maintenir sa rentabilité, la crise économique actuelle, et les questions environnementales. Les ventes de véhicules ont chuté de 20 à 40% alors  que l’automobile représente 20% de toutes les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis (plus de quatre tonnes par personne chaque année ) et 40% de la consommation de pétrole

Avec son réseau de banlieues et d’autoroutes, le pays est conçu pour se déplacer en automobile. Ainsi, 90% des Américains devaient en 2007 utiliser leur voiture pour aller  travailler, et 76% d'entre eux étaient seuls dans leur voiture. Moins de 5% des américains utilisent des transports publics, et  cela concerne seulement les habitants de New York, Washington et à Chicago. Quand je prends le bus à Detroit, je suis souvent la seule personne blanche dans le bus - les passagers étant pour la plupart pauvres et noirs, ou bien des femmes.

Cependant,  80% de la population américaine vit dans des zones urbaines, et 30% habite dans les centres villes. Comme des études de Los Angeles et Detroit le révèlent, de meilleurs transports publics  existaient il y a 100 ans. Qu’est ce que devenu le transport par chemin de fer ? GM a  fait pression sur le gouvernement pour la construction d’autoroutes, au détriment des  transport en commun, et avait  exigé que des autobus remplacent les systèmes efficaces de tramway ? Et pour sa part, GM a cessé de fabriquer  des autobus dans les années 1980.

L'industrie automobile n'a pas investi l'argent qu’elle avait accumulé pour  produire à une échelle de masse des véhicules économes en énergie  et relativement peu coûteux. Bien sûr, nous avons besoin de véhicules électriques, mais cela devrait être une partie seulement - et une partie secondaire - d'une nouvelle industrie économe en énergie. Elle devrait fabriquer  une large gamme de produits, depuis des  autobus économes en carburant, des systèmes souples sur rail, jusqu’à l’utilisation de l’énergie éolienne, et de panneaux solaires.

Mais voici le problème: les directions des  « Big Three » sont  incapables de ré-imaginer une telle industrie. Leurs critères de choix ne sont pas les besoin de la population,  mais le profit de leurs entreprises. C'est la leçon de l'ensemble des 30 dernières années où ont été produits des véhicules dévoreurs de pétrole et dangereux. Et pendant ce temps, les travailleurs accomplissent leurs tâches avec des niveaux de plus en plus élevés de stress pour des salaires de plus en plus bas. Comme on dit maintenant,  travailler encore plus dur pour moins cher !

Je suis d'accord avec Michael Moore. Que le gouvernement rachète General Motors et Chrysler et les convertisse en entreprises publiques. Comme dans la plupart des lieux de travail, les ouvriers de production, les travailleurs qualifiés, les ingénieurs et l’encadrement de terrain ont plus d’idées novatrices que les grands chefs, les gestionnaires, et les patrons.

Pourquoi ne pas faire  confiance à ceux qui y travaillent, aidés si nécessaires par des experts de l'environnement et des représentants de la population exprimant leurs besoins ? C'est le seul moyen  pouvant  intégrer  la production d'automobiles dans l’industrie des transports et de l’énergie que nous méritons.

 

Diane Feeley


Lire l’article sur le site américain de Solidarity

Publié dans Analyse-et-débats

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