Des salaires inégaux pour un travail égal dans l'industrie automobile aux États-Unis
De nouvelles divisions séparent les ouvriers appelés maintenant « traditionnels » de ceux qui sont appelés les « ouvriers entrants » ou « renforts permanents », les « temporaires à temps partiel » ou encore les « oranges ». Des délégués dissidents, lors de la convention de préparation des négociations du syndicat UAW (United Auto Workers), ont exhorté le syndicat à agir pour y mettre fin.
Parmi les entreprises américaines ayant des syndicats, celles de l'industrie automobile donnent probablement l'exemple le plus flagrant de la tendance à l'instauration d'un double système de salaires. Une enquête réalisée l'année dernière par le BNA business journal, a montré que 12% des contrats négociés d'entreprise venant à échéance comportaient des clauses avec ce double système. Il y a cinq ans, seulement 2 % des nouvelles conventions incluaient de tels dispositifs.
« Le problème avec les salaires à deux vitesses deux vitesses n'est pas seulement la faible rémunération », a déclaré Bill Parker, président d'une union locale Chrysler dans la région de Détroit. « Le problème est que ces deux niveaux crée une division dans nos rangs. »
Dans les années 1970, les travailleurs étaient embauchés dans les « big three » General Motors, Ford et Chrysler, avec 93 % du salaire à taux plein et atteignaient ce taux plein en 90 jours. Presque tous les travailleurs de la production d’une entreprise avait le même salaire, avec des écarts de seulement quelques pour cents en fonction des classifications et des primes d’équipe.
Aujourd'hui, avec le système à deux vitesses mis en place depuis 2007, des salariés vont toucher un demi salaire de façon permanente, et cela entraîne un nombre ahurissant de catégories variant d’une usine à l’autre.
Dans une usine d’assemblage de Ford à Chicago, les nouveaux embauchés se considèrent comme du personnel de seconde classe. Ceux-ci ont été embauchés pour constituer une seconde équipe supplémentaire. Lorsque le syndicat a organisé une élection pour désigner un représentant de ce service , seuls 50 des 400 membres ont voté. « Ils se sentent exclus du droit de vote et cela se voit », a déclaré l’un des responsables du syndicat.
Le doigt dans l'engrenage
En 2007, l'UAW a donné à chacun des 3 grands constructeurs automobiles le droit d'embaucher de nouveaux travailleurs à la moitié du taux normal. Ce système de salaires à deux vitesses devait se limiter à certains types d’emploi et ne devait pas dépasser 20 % de l’effectif total. Dès ce seuil de 20 % atteint, on devait repasser dans la catégorie des salaires traditionnels.
Mais avec les faillites de GM et Chrysler en 2009, les nouveaux salaires d’embauche ont été fixés à environ 14 $ l'heure sans possibilité d’accéder dans le futur au salaire à taux plein, sans droit à la retraite, et sans augmentation ni prime pendant 6 ans. L'industrie automobile devient une industrie où la règle est les bas salaires, à mesure que les travailleurs les plus âgés recevant un salaire « traditionnel » partent en retraite.
Le salaire horaire moyen des ouvriers de fabrication, syndiqués et non syndiqués, était de 17,20 $. Mais en 2010, les réductions de salaires se sont propagées. L'UAW a accepté que 40 pour cent des travailleurs d’une usine GM de Detroit voient leur salaire passer à 14 $, et cela pour aider l'entreprise à réaliser un bénéfice sur les voitures petites et très petites. Le mois dernier, un vice-président de l’UAW a déclaré le syndicat était ouvert à des arrangements similaires ailleurs pour sauver des emplois.
Les accords avec les Big 3 arrivent à échéance en Septembre 2011. Les négociations vont s’ouvrir chez GM et Chrysler alors que le droit de grève y a été retiré suite à la condition imposée par le gouvernement des Etats-Unis, quand il renfloué les deux sociétés en 2009.
Le président de l’UAW voudrait d’abord négocier avec GM pour fixer un cadre applicable aux trois « big three ». Les dissidents expliquent au contraire que les négociations devraient commencer chez Ford, car c’est là où une menace de grève peut être brandie.
Les contrats de GM et Chrylser stipulent que les conflits salariaux doivent être soumis à une instance arbitrale chargé d’évaluer la concurrence avec le secteur automobile où il n'existe pas de syndicats, c'est-à-dire les usines étrangères implantés aux États-Unis comme Mercedes, Toyota et d'autres. Ces sociétés, principalement basées dans le Sud, ont 44 % du marché des véhicules des États-Unis et n’appliquent pas les mêmes accords qu’à Détroit.
En ce qui concerne les négociations de cet été, le président de l'UAW, Bob King, a déclaré que le syndicat veut que travailleurs temporaires puissent accéder à un contrat de travail à durée indéterminée, mais il a aussi déclaré qu'il ne contestera pas le système du salaire à deux vitesses. Il a justifié cette position par l’impuissance de l’UAW à agir sur cette question en raison de l’importance du nombre d'entreprises sans syndicat dans le secteur automobile.
Au lieu de cela il donné en exemple l’usine de tracteurs John Deere, où le système à deux vitesses aurait permis de faire revenir des emplois et où les travailleurs âgés ont renoncé à des augmentations de salaires pour permette une toute petite augmentation des salaires les plus bas. Cependant, contrairement aux Big three, les travailleurs de Deere ont tous obtenu des ajustements de salaires pour compenser la hausse des prix (appelés COLA – cost of living allowances – aux États-Unis).
Des codes couleur pour repérer les travailleurs !
Ce système aux salaires différenciés génère d'innombrables possibilités de division et de ressentiment.
Dans une usine de tableaux de bord gérée par Ford à Saline (Michigan), les travailleurs sont désignés « bleus » (pour les ouvriers traditionnels), « bleus clairs » (pour les ouvriers transférés d’autres usines), ou « oranges » (pour les nouveaux embauchés, certains d'entre eux depuis plus de quatre ans). Ou bien ce sont des ouvriers du nettoyage payés 11 $ l'heure par une entreprise de service qui a remplacé les salariés de Ford.
« Au début nous détestions ces codes de couleur », déclare un ouvrier « bleu ». « Mais maintenant c'est une façon pratique pour savoir quel est le groupe concerné par un évènement . »
Le syndicat a refusé aux travailleurs « bleus clairs » le droit de vote aux élections locales parce qu'ils sont prêtés par d'autres usines, même si ces établissements ont fermé leurs portes.
Lorsque les travailleurs « bleus clairs » ont été transférés , souvent après longues périodes sans travail , ils ont dit aux travailleurs « orange » : « Vous êtes des jaunes, vous avez pris nos emplois. » « Mais alors tout le monde a vu que chacun des groupes étaient utilisés contre tous les autres groupes. Ces couleurs c’est comme si l'on nous mettait des T-shirts avec une cible dessus. Maintenant chacun se rend compte qu'il porte sur lui une cible. »
Le syndicat UAW joue la division
Denise Perry, une travailleuse nouvellement embauchée à une usine de GM à Lordstown, Ohio, a été victime d'un régime particulièrement terrible. Elle et d'autres avaient été embauchées en 2002 et ont conservé un statut de « temporaires » jusqu'en 2008. Leurs salaires progressaient lentement vers le niveau à taux plein. En juin 2008, le syndicat leur a dit qu'elles accéderaient enfin au statut de « contrat à durée indéterminée » mais qu’il fallait redescendre leur niveau de rémunération au niveau de celui des nouveaux embauchées pour quelques semaines. Elles sont toujours avec ce même salaire depuis.
« J'ai perdu environ trois-cinquièmes de mon salaire » dit Perry. « Je gagne moins d'argent à l'heure actuelle que comme temporaire à l'été 2002. »
Le taux le plus élevé pour le deuxième niveau est de 16,28 $, et le groupe auquel appartient Perry n'est pas admissible à une augmentation d’ici à 2015.
Perry a vu des ouvriers transférés provenant d'autres États avec un salaire plus élevé, et des droits supérieurs contre les licenciements dus à leur ancienneté. Elle travaille dur à côté de gens qui font des milliers de dollars de plus qu’elle. « On m’a coupé le gaz et l’électricité alors que je travaille avec des gens qui ont les moyens d'avoir quatre ordinateurs dans leur maison. »
Perry dit qu'elle ne voudrait pas voir quelqu'un subir une réduction de salaire lors des négociations de cet automne, mais si cela arrive « il pourra voir ce qu’a subi ces trois dernières années une catégorie comme la nôtre ».
Dans l’usine de montage de Ford à Twin Cities, la main-d'œuvre est composée de travailleurs aux salaires à taux plein, de nouveaux embauchés à partir de 15,52 $ l’heure, et de temporaires ayant continuellement travaillé dans l’usine depuis 2007. Les « temporaires » sont la majorité.
Brett Hoven dit qu'on lui a proposé ainsi qu'à ses collègues « temporaires » d’obtenir un contrat à durée indéterminée, mais seulement avec des salaires de nouveaux embauchés, soit une baisse de salaire de 12 $. Leur ancienneté serait repartie de zéro.
Les travailleurs de Ford ont réalisé un événement historique à l'automne 2009 en votant contre un réexamen de leur accord d’entreprise. Ils ne voulaient pas des concessions qui avaient tiré vers le bas les accords de GM et Chrysler suite à leur mise en faillite.
Mais à l'usine de Twin Cities, avec sa majorité de « temporaires », les travailleurs ont voté « oui » à 75 %. Les responsables locaux du syndicat leur avaint dit qu'en votant « non », il ramèneraient le salaire des travailleurs temporaires au niveau de celui des nouveaux embauchés, « ce qui s'est avéré être un énorme mensonge », nous dit Hoven.
Essayer de combler le fossé de la division entre travailleurs
La section syndicale locale de Bill Parker, qui s'est constituée chez Chrysler lorsqu'une deuxième équipe a été introduite, s'est rebiffée conte le système. Bill pense que sa section syndicale est peut-être la seule à traiter les nouveaux embauché comme des égaux.
« Beaucoup font le contraire » dit-il. « Nous disons que les nouveaux embauchés avec un statut aux salaires inférieurs ne doivent pas être en plus pénalisés sur d'autres sujets » dit Parker. « Dans nos accords locaux, pour ce qui concerne par exemple le choix des équipes ou les appels à candidature pour un poste, ils ont les mêmes droits que les autres. Notre syndicat a bien conscience qu'ils sont victimes d'une terrible division et que nous devons tout faire à notre niveau pour combler le fossé qui sépare nos droits. »
A la convention de l'UAW, des dissidents portaient des T-shirts où était écrit : « Apprenez à compter : à travail égal, salaire égal » Et étaient en vente des badges « Toujours solidaires, fin immédiate du double système de salaires dans nos usines »
Article publié dans "Labor Notes" par Jane Slaughter . Traduction en français Blog NPA Auto Critique