Les grèves de l'automobile en Chine de 2010 : pourquoi ont-ils gagné ?

Publié le par Boy Lüthje chercheur allemand. Publié sur le site Labor Notes le 23 décembre 2010

Le site "Labor Notes" a publié un bilan et une analyse  des grèves du printemps 2010 des ouvriers de l'automobile en Chine. En voci la traduction en français.

 

Les grèves des travailleurs de l'automobile en Chine du Sud l’été dernier ont été observées avec attention  dans tout le pays et dans le monde entier..

Alors que  les travailleurs dans les entreprises sous-traitantes pour  Honda, Toyota, et d’autres compagnies  multinationales de l’automobile cessaient le travail, la presse économique internationale exprimait  sa crainte d’une montée en puissance des travailleurs en Chine.

Dans le même temps, une série tragique de suicides chez Foxconn, e plus grand fabricant du monde d'ordinateurs démontrait  la nature inhumaine de la production de masse à bas salaires effectuée pour des marques mondiales telles Apple, HP et Nokia.
   

Ces deux événements ont secoué les syndicats et le grand public en Chine. Ils  pourraient constituer un tournant pour les relations sociales dans le pays.

Mais l'activité des travailleurs a disparu du radar des médias presque aussi rapidement qu’elle était apparu. Que s’est il passé ?

Les travailleurs contre le patronat  et gouvernement

En mai dernier, 2000 ouvriers de l’usine de boites de viitesse Honda dans le district de Nanhai de la ville de Foshan se sont mis  en grève. L’évènement déclencheur avait  été une hausse du salaire minimum légal local passant de  123 $ à 147 $, annoncé par l‘administration de la ville le 1er  mai en réponse à l'augmentation rapide du coût de la vie.

Les travailleurs s'attendaient à une hausse de leur salaire mensuel égal à ce montant. Mais la direction de l'usine, en même temps qu’elle augmentait le salaire mensuel de base ouvrier de 24 $, a réduit les subventions mensuelles pour le logement et l’alimentation de 48 $ à 29$. Le gain net n’était plus que de 5 $ par mois

Le matin du 17 mai, deux ouvriers, dans le département de la fabrication des boites de vitesse automatiques, ont arrêté la ligne d'assemblage en appuyant sur le bouton d'arrêt rouge, normalement utilisés pour les arrêts d'urgence sur les problèmes de qualité.

Le directeur de l'usine japonaise a rencontré les travailleurs à la cafétéria et a promis de répondre à leurs demandes dans un délai d’une semaine, et l’équipe de nuit est retournée au travail. Les négociations entre la direction, les travailleurs, et le syndicat de l'usine (qui existait à l'insu de beaucoup de travailleurs) ont eu lieu pendant les jours suivants, accompagnés de la poursuite des arrêts de travail.

L’entreprise  a proposé l’augmentation de  diverses primes à différents groupes de travailleurs, mais ceux-ci ont insisté sur une augmentation générale du salaire de base. De plus, l’entreprise a licencié les deux employés qui avaient initialement arrêté la ligne d’assemblage. Cette réaction brutale de la direction a galvanisé les travailleurs.

Le 24 mai, la grève est devenue illimitée, affectant en peu de temps  les principales usines Honda d’assemblage à Guangzhou et à Wuhan en Chine centrale. Ces deux usines ont dû arrêter la production les 26 et 27 mai, attirant les médias nationaux et internationaux, et  faisant de cette grève un événement public en Chine. Le gouvernement local, avec le syndicat et la direction de l’entreprise, ont pris une position de plus en plus agressive. Ils ont mobilisé un groupe d'environ 100 nervis,  vêtus de l'uniforme du syndicat, qui se sont affrontés physiquement aux travailleurs.

Les travailleurs ont ensuite écrit une lettre ouverte qui a été largement publiée dans les médias chinois et sur les sites Web. Ce document unique a expliqué les revendications des travailleurs et leur demande d’une justice sociale.  Ils demandaient  une augmentation de 128 $ pour tous, des primes d’ancienneté, une augmentation annuelle de 15%

La demande de primes d'ancienneté et la  garantie d’augmentations de salaires annuelles auraient signifié des changements fondamentaux dans la politique des salaires. Les salaires de base en Chine sont généralement très faibles (généralement pas plus de la moitié des revenus mensuels réguliers), afin que les travailleurs comptent sur le paiement des heures supplémentaires et des primes accordées pour «bonne conduite» et soumission au patron.

Plus important encore, les travailleurs Nanhai ont réclamé des élections libres et ouvertes de représentants syndicaux dans l'usine.

Médiation ou de négociation collective?

L'escalade a amené l'implication directe de Guangzhou Automobile, la société mère chinoise des usines Honda. Le chef de la direction de l’entreprise  -membre de l'Assemblée législative de la Chine- a directement pris en charge les négociations. Le directeur japonais de l'usine de boite de vitesses a été remplacé par un Chinois. Un éminent  professeur du travail en droit de Pékin a été recruté pour faciliter la médiation.

Le 4 juin trente représentants élus des travailleurs ont pris part aux négociations bien que seulement cinq  avaient été autorisés à parler. L'entreprise à proposé  d'augmenter la rémunération totale mensuelle de 240 $ à 336 $, mais surtout sous forme de primes et de bonus.  Les travailleurs ont insisté sur l’augmentation des salaires de base, et du paiement des heures supplémentaires.

L'accord final a conclu à un hausse du salaire de base et d’autres compléments de 80 $. On est bien en deçà de la demande initiale de 128 $.

Des primes exceptionnelles ont été accordées pour calmer les revendications de ceux ayant les plus bas salaires. La demande d’une rémunération à l'ancienneté a été rejetée comme "trop compliquée" et reportée à de nouvelles consultations. Une hausse importante du  salaire de base  et l'introduction de la prime d'ancienneté auraient  remis en cause la politique fondée sur des bas salaires de base  associés à des prime de rendement élevées

Honda et Guangzhou Automobile ont effectivement empêché un précédent qui aurait pu s’appliquer aux  autres fabricants d'automobiles en Chine. Les emplois doivent rester sous-payés et le syndicat doit continuer à être du côté de la la direction.

L’extension de la grève et le rôle des syndicats

Mais les événements de Honda Nanhai ont  déclenché une réaction en chaîne parmi les travailleurs des secteurs  de l'automobile  et de l'électronique dans le delta de la Pearl River. Selon la Fédération des syndicats de Guangzhou, plus de 100 grèves se sont déclenchées, seul un petit nombre d’entre elles ayant été signalé dans les médias.

Autour de l’usine ultramoderne de Toyota à Guangzhou Nansha, 8 des 14 fournisseurs ont connu  des conflits du travail. Et le mouvement s’est étendu à d’autres territoires,  plusieurs usines d'électronique près de Shanghai et un fournisseur de Toyota à Tianjin ayant été bloqués pendant plusieurs jours.

La plupart des grèves dans le delta ont été réglés avec des augmentations similaires à Nanhai, l'action des travailleurs ayant effectivement amené  un cadre type de négociation. Les employeurs ont également tenté de coordonner secrètement leurs actions : 100 représentants de fabricants  de voitures se sont réunis à Guangzhou pour discuter des hausses maximum de salaires.

Au cours de cette vague de grèves, certains syndicats ont commencé à montrer un notable changement d'attitude.  Lorsque le 21 juin,  les travailleurs se sont mis en grève dans une usine de pièces détachées de  Honda dans le district de Nansha de Guangzhou, le syndicat local du district  est intervenu et a repris la négociation. Dans cette usine de plusieurs centaines de travailleurs, un syndicat de l'usine existait, mais il avait complètement perdu la confiance des travailleurs.

Comme il arrive souvent en pareil cas, les responsables  du syndicat local ont été invités à la médiation. Le syndicat local a refusé et indiqué que le Bureau du travail, la branche locale du ministère chinois du Travail, devait assumer ses responsabilités.

Dans une déclaration aux médias, le président de la Fédération des syndicats de Guangzhou a déclaré que le syndicat devait être du côté des travailleurs et que le gouvernement, mais pas le syndicat, devrait agir comme un médiateur. Le syndicat a également rejeté la demande de la police locale qui avait appelé les représentants des travailleurs de l’usine à se rendre au poste de police pour discuter de questions de sécurité (Il n'y a pas eu de violence dans les piquets de grève.)

Ce comportement très inhabituel, les syndicats du côté des travailleurs plutôt qu’intermédiaire du côté de la direction, a changé l’attitude des travailleurs vis à vis du syndicat. Et celui-ci a organisé l’élection de six représentants pour négocier au nom des travailleurs de l’usine.


La conclusion de la négociaion dans cette usine :  128 $ par mois.


Les changements dans les relations de travail

Le mouvement de grève a non seulement fait peur aux  sociétés multinationales implantées en Chine ; il a contesté le système de contrôle du travail par les autorités chinoises.  Il existe un accord tacite entre les gouvernement locaux et  patrons capitalistes pour leur laisser plein pouvoir à l’intérieur des usines.

 

Les syndicats jouent un rôle dans les anciennes entreprises d'État et les principaux « joints ventures » crées avec des sociétés multinationales, mais pas dans la plupart des entreprises privées. Souvent, les gouvernements locaux acceptent les violations du droit du travail par les grands investisseurs, comme cela a été documenté pour Wal-Mart, Apple et Nike.

Mais dans les conditions d’une croissance rapide et d’une production très modernisée,  les méthodes de contrôle sont devenues inefficaces. Des centaines de conflits de travail sont survenus dans le sillage de la crise économique mondiale.

 

Avec la reprise, les travailleurs sont à la recherche de porte parole.

La part des  salaires des travailleurs dans le revenu national chinois est en baisse continue depuis les années 1990, date à laquelle la transition vers le capitalisme a pris son envol. Mais le gouvernement appelle maintenant officiellement à des salaires plus élevés afin d'accroître la demande intérieure.

Nouvelle ouverture

Les travailleurs profitent de cette situation, car cela donne une légitimité à leurs luttes. Ce changement se traduit également par une ouverture croissante dans les médias. A la fois pour les grèves chez Honda et et les suicides chez Foxconn, les reportages publiés ont été sans précédent.

Dans le même temps, les débats  sur la réforme des lois du travail et le rôle des  syndicats en Chine remontent jusqu’à l’intérieur du parti communiste et du gouvernement. Le chef du parti dans le Guangdong a ouvertement déclaré sa sympathie pour les revendications des travailleurs et a soutenu  les tentatives des syndicats locaux de jouer un rôle dans les négociations. Certains dirigeants syndicaux provinciales et locales se sont déclarés d’accord.

Bien que le Guangdong ait  la réputation d'être la province la plus capitaliste en Chine, le gouvernement provincial a émis une directive appelant à  des élections démocratiques de syndicats d’usines, à des droits de négociation des travailleurs au niveau des ateliers, et à un plus grand rôle pour les syndicats dans les négociations au niveau local et provincial . Les travailleurs pourraient  élire leurs représentants syndicaux et les délégués pour les négociations salariales dans les usines. Toutefois, la directive ne dit rien sur le droit de grève.

 

Évidemment, le gouvernement se tourne vers des modèles étrangers  de coopération entre syndicats, associations patronales et gouvernement, comme en Allemagne ou à Singapour, avec des syndicats stables mais peu de grèves.

De telles  politiques rencontrent  une opposition farouche des capitalistes dans le Guangdong, y compris ceux de Hong Kong et à Taiwan. Leurs « copains » dans les gouvernements locaux s'opposent à toute réforme démocratique dans les  gouvernements locaux  ou les syndicats. La puissance de ces coalitions locales est devenue visible, après la grève, dans l’usine de Nanhai Honda. Le président du syndicat de l'usine,  qui dispose d’un revenu  de annuel de 41.600 $,  est resté en fonction, malgré la pression exercée par les dirigeants syndicaux de la province.

La lutte pour le droit à l'indépendance des syndicats en Chine demeure une tâche difficile. Dans la plupart des autres provinces, les autorités prennent des positions beaucoup plus répressives  envers les conflits du travail. La direction nationale de la Fédération chinoise des syndicats n'a soutenu aucune  mesure importante  vers une plus grande indépendance des syndicats vis à vis  des entreprises ou du gouvernement.

C’est  l'activisme des jeunes travailleurs migrants, avec pratiquement aucune expérience dans l'organisation de travail, qui fournit  des leçons aux syndicats, non seulement en Chine, mais partout dans le monde industrialisé.

 

Boy Lüthje Décembre 2010

 

Version originale consultable sur le site de Labor Notes

Publié dans Monde

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