Pour les syndicalistes de PSA Aulnay, la "bataille démarre maintenant"
Article publié par le quotidien Le Monde le 9 juin 2011
"Un tsunami social." Voilà comment la CGT a présenté une note confidentielle de la direction de PSA Peugeot Citroën qu'elle a dévoilée, jeudi 9 juin, et dont Le Monde avait déjà publié les détails plus tôt dans la journée. Ce "plan secret de M. Varin [président du directoire de PSA] sur l'avenir des sites automobiles en France et en Europe" révélé par la CGT prévoit notamment la fermeture de deux sites employant 6 400 personnes, ceux d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) courant 2014 et de Sevelnord (Nord) en 2015
L'objectif du document, élaboré le 23 août par la direction des programmes et la direction industrielle, était d'améliorer la rentabilité et la compétitivité des sites du groupe à l'horizon 2020, en abaissant en particulier les prix de revient à la fabrication des petits véhicules, ceux du segment B, et en réduisant de 200 000 véhicules la production de l'entreprise en Europe de l'Ouest. "Ces axes de progrès" ont été présentés au comité de direction générale de PSA, le 8 septembre, et au comité stratégique du conseil de surveillance, le 28 septembre.
DOCUMENT DATÉ OU D'ACTUALITÉ ?
La direction de PSA n'a pas tardé à réagir. Selon un communiqué publié sur son site Internet, le groupe affirme que la fermeture du site d'Aulnay n'est "pas un sujet d'actualité" et que la note diffusée par la CGT est un "document préparatoire datant d'il y a près d'un an", ne constituant "en aucun cas un relevé de décisions". "Anticiper sur ces sujets dans le contexte de crise qui était celui de l'industrie automobile à l'été 2010 était, et reste, du devoir de la direction générale", fait encore valoir PSA, en affirmant que les questions de compétitivité faisaient "l'objet d'échanges réguliers" avec les partenaires sociaux.
"Faux", rétorque la centrale syndicale, qui assure n'avoir jamais été tenue au courant de tels projets. "La note d'août fait référence à des décisions prises lors du comité de direction générale de janvier 2010, qui proposait déjà la fermeture du site d'Aulnay et le transfert de l'activité à Poissy. Ce qui prouve bien qu'il ne s'agit en rien d'un document de travail mais bien de la mise en œuvre de décisions actées, soutient Bruno Lemerle, représentant au Comité central d'entreprise (CCE) et au comité de groupe européen. Certains des éléments de ce plan ont par ailleurs déjà été appliqués."
RÉDUCTION DE LA PRODUCTION À AULNAY
Le site d'Aulnay-sous-Bois, qui fabrique aujourd'hui la nouvelle Citroën C3, a ainsi vu sa production diminuer depuis plusieurs années. En 2004, 418 000 véhicules sortaient de l'usine, "soit le plus gros site de production français pour des effectifs qui n'étaient pas les plus importants, avec 6 500 salariés", raconte avec un brin de fierté Jean-Pierre Mercier, délégué syndical central CGT-PSA et délégué CGT-Aulnay. Depuis, une des deux lignes d'assemblage a fermé et l'équipe de nuit s'est arrêtée. Résultat : la production a chuté à 195 500 voitures, passant à la cinquième place des usines françaises. Surtout, le site n'emploie plus que 3 600 personnes.
A l'inverse, l'usine voisine de Poissy, dans les Yvelines, a vu sa production augmenter. Une équipe de nuit a été mise en place cette année, la cadence des chaînes est passée de 45 à 52 véhicules par heure, avec un objectif de 55, et le site est actuellement à l'origine d'un tiers de la production de C3. Pour la CGT, les faits confirment donc clairement que le groupe applique la stratégie évoquée dans la note confidentielle. "A Aulnay, les salariés sont révoltés mais pas vraiment étonnés de la nouvelle, confie Jean-Pierre Mercier. Ce n'est que la confirmation, noir sur blanc, de ce que tous, ici, sentent depuis des années : que l'on cherche à nous enlever notre emploi."
Pourquoi fermer l'usine d'Aulnay plutôt que celle de Poissy ? "Pour des raisons financières, répond Bruno Lemerle, le site de Seine-Saint-Denis ayant sans doute plus de valeur." "Au-delà du gain de frais fixes de 68 millions d'euros par an, la cession du terrain, estimé à 300 millions d'euros, permet un retour sur investissement de l'opération inférieur à dix ans", indique en effet la note.
CALENDRIER ÉLECTORAL
Pour préparer le "non-renouvellement" de ce site, le document livre un calendrier très précis. Jusqu'à la mi-2012, il est ainsi prévu de "préparer et sécuriser les fournisseurs", c'est-à-dire, traduit la CGT, "de leur donner suffisamment de travail afin qu'ils constituent des stocks et puissent résister à des mouvements sociaux". Fin 2012, le groupe envisagerait d'annoncer la "création d'un pôle majeur unique région parisienne", soit, pour le syndicat, "une opération de communication censée faire passer la pilule", à savoir un plan social prévu pour 2013 et l'arrêt du site "courant 2014".
Quant à l'annonce de la fermeture du site, elle est envisagée au second semestre 2012, "dans le calendrier électoral français", soit après les élections présidentielles. Si le PSA affirme qu'il ne s'agit que d'une coïncidence de calendrier, pour la CGT, le groupe ne veut surtout pas se retrouver en porte-à-faux avec un gouvernement qui lui a prêté 3 milliards d'euros — aujourd'hui remboursés — en échange de la préservation des emplois dans l'Hexagone. PSA cherche par ailleurs à cultiver son image d'une entreprise qui produit davantage de véhicules en France que son concurrent Renault, dont la production de modèles phares est depuis longtemps délocalisée dans les pays à bas coût.
PAYS À BAS COÛT
PSA pourrait pourtant suivre la même stratégie. Selon la note confidentielle, une partie de la production d'Aulnay-sous-Bois serait délocalisée dans un pays "low cost". Le pays en question n'est pas cité mais la note précise : "Le choix du pays low cost (Turquie, Maroc ou Europe de l'Est) est fait selon la grille de critères PSA renseignée par un cabinet de conseil indépendant, avec des données prospectives macroéconomiques sur ces pays."
En parallèle, le site de Sevelnord, qui compte 2 800 salariés et fabrique chaque année près de 100 000 monospaces et utilitaires, est aussi menacé. PSA aurait commencé à préparer le terrain en annonçant à la mi-mai la fin de la coopération sur ce site avecl'Italien Fiat pour 2017. Deux options ont été examinées par la direction, selon le document confidentiel : fermer le site avec la reprise de l'activité par l'usine de Vigo, en Espagne, ou par une nouvelle unité dans un pays low cost, et maintenir la production avec le soutien financier de l'Etat. "Nous avons différentes pistes, je pense qu'il est beaucoup trop tôt pour en parler", a déclaré le directeur industriel du constructeur français, Denis Martin, lors d'un point presse organisé jeudi après la diffusion de la note interne.
INTERVENTION DE L'ÉTAT
"Le groupe se désengage progressivement de notre site. Dans le Nord, 10 000 familles sont menacées", déplore Ludovic Bouvier, délégué syndical CGT-Sevelnord. A Aulnay-sous-Bois, la situation est encore pire. Le groupe est le troisième plus gros employeur de Seine-Saint-Denis, un département particulièrement touché par le chômage. "Chaque emploi industriel induit trois à quatre emplois supplémentaires, rappelle Hervé Ossant, délégué du syndicat dans le département. En voulant augmenter ses marges, alors qu'il a réalisé des ventes record et un chiffre d'affaires en progression de 17 % en 2010, le groupe met en péril la filière automobile déjà sévèrement touchée par la crise et un département fragile. L'Etat doit intervenir."
Jeudi, le ministre de l'industrie, Eric Besson, a affirmé qu'il s'entretiendrait avec le président du directoire de PSA, Philippe Varin, pour évoquer le sujet. La direction a par ailleurs déclaré qu'elle allait convoquer un CCE exceptionnel "dans les prochains jours pour une mise au point". Du côté de la CGT, on attend des explications et une renonciation au projet. "On a distribué des tracts aux salariés du site cet après-midi. En fonction de la réaction de la direction, on envisagera des actions. Mais ce qui est certain, c'est que la bataille démarre", assure Jean-Pierre Mercier.
Audrey Garric