PSA Poissy : encore une fois sur le bilan d'une lutte hors du commun
Ils étaient sept, sept ouvriers de PSA-Poissy, animateurs du syndicat SUD. Evidemment, pas sur le mode ronronnant d’une section docile, qui se contente de quelques manifestations convenues en respectant les règles du jeu. Non, ils prennent au sérieux le fondement de la lutte syndicale, et entendent défendre les intérêts des travailleurs. Qui ne sont pas ceux des patrons...
Bien sûr, ils gênent. Harcèlement moral, mises au placard, discrimination syndicale. D’autres orgas, aux « scores » moins élevés bénéficientpourtant de plus de moyens : elles sont moins gênantes. La boîte a déjà été condamnée dans le passé pour ce genre de pratiques, mais cela ne lui sert pas de leçon. Ou plutôt si ! Elle a bien appris la leçon : mieux vaut payer de temps en temps des dommages et intérêts, plutôt que de laisser agir sans entrave ceux qui mettent le doigt là où ça fait mal.
Alors, la gestion du personnel est calamiteuse, source de stress, de maladie. Les rapports hiérarchiques sont emprunts de mépris, combinant la gestion de la peur et des formes de corruption souterraine. Ce à quoi il faut ajouter depuis septembre le salaire réduit à 70% à cause du chômage technique, alors qu'il faut bosser comme des brutes les jours travaillés.
Le tableau est complété par la récente signature de l'accord « social » de compétitivité par tous les syndicats à l’exception de la CGT , la CFDT et de SUD. Le résultat en sera une augmentation des cadences, (14h pour monter une voiture au lieu de 20 !), une plus grande amplitude de temps à la disposition du patron pour moins de salaire, au plus grand profit de la famille Peugeot pour laquelle on sait à quel point l’Etat est par ailleurs aux petits soins.
Après les dernières élections professionnelles, SUD a dénoncé preuves à l’appui les manœuvres qui ont minoré leur représentativité. Ils attendent le résultat de leur demande d’annulation des élections auprès du tribunal. Ils réclament aussi aux Prud’hommes des dommages et intérêts en compensation du harcèlement dont ils sont victimes.
Mais leur endurance à subir les attaques de leur hiérarchie a des limites.
Ils y réfléchissaient depuis un moment. Et comme prévu, le 18 septembre, ils appliquent leur décision collective de se mettre en grève de la faim. Cela tombe malencontreusement le jour d'un appel CGT à débrayer sur tout le groupe PSA contre le projet d'accord antisocial ... mais "quand on l'a décidé, faut y aller !" .... et un campement devant le pôle tertiaire de l’entreprise est monté. Campement précaire, sept tentes individuelles, une bâche mal arrimée, quelques sièges... et ils attendent, sans se soucier d’une météo pourtant fort peu clémente.
Aucune réaction de la part de PSA. Les jours passent, des militants politiques (NPA, PG, AL), syndicaux (Solidaires), associatifs (ATTAC, LDH), créent un comité de soutien après un premier rassemblement le 3 octobre. Sans approuver la méthode de lutte, qui suscite bien sûr des réserves. Mais impossible de ne pas soutenir des travailleurs qui se battent pour faire respecter leurs droits.
La liste initiale des revendications est révélatrice :
- Arrêt du harcèlement moral versement de dommages et intérêts, ainsi que de la discrimination syndicale (les mêmes moyens pour la section SUD que pour les autres organisations)
- Déplacement du DRH responsable de ce harcèlement
- Un audit indépendant sur les conditions de travail dans l’entreprise
- Le paiement des jours de grève
On voit bien ce qui pousse les sept dans cette action hors norme : il s’agit d’abord d’une lutte pour que leur dignité de travailleur et d’homme soit respectée.
A ces revendications, la direction oppose d’abord le silence, puis la proposition jugée insultante : « Combien vous voulez, pour partir ? »
Car pour PSA, il s’agit avant tout de déconsidérer ces grévistes gêneurs : les faire passer pour des opportunistes, essayer de dresser contre eux leurs camarades.
Pendant ce temps, le syndicat CGT, non seulement prend ses distances avec les grévistes, mais trouve le moyen de déclarer en CE sa désapprobation quant au mode de lutteet au moment choisi. Et sur le reste, silence...
Soyons clair : oui, on peut désapprouver la grève de la faim comme arme syndicale, considérée comme individuelle et "suicidaire"... mais comment ne pas soutenir cette lutte, aux objectifs incontestables ? Des militants cégétistes ont d’ailleurs manifesté leur soutien aux grévistes, comme aussi des élus CFTC et FO, malgré les consignes de leurs directions syndicales.
Le comité de soutien organise des diffusions de tracts, une manifestation dans la ville, plusieurs rassemblements, la médiatisation, une pétition internet ainsi qu'une présence aux abords de l’usine. Rien ne bouge. Les grévistes restent déterminés, et les soutiens aussi.
Puis, le mouvement prend une dimension nationale : le comité de soutien s’adresse aux dirigeants nationaux des partis et syndicats, le soutien affiché de certains (Olivier Besancenot, Jean-Luc Mélenchon), la couverture médiatique (BFM, France info, Politis, ...) interdit à PSA d’ignorer les grévistes. La presse se fait écho des problèmes de santé des sept, des malaises, de l’hospitalisation de l’un d’eux...
La boîte organise des rencontres avec les grévistes, mais en tergiversant : elle les reçoit un par un, et continue à essayer de s’en débarrasser en échange d’un chèque.
Mais ils tiennent bon. Finalement, Le gouvernement finit par craindre que le pourrissement soit à l'origine d'un drame qui pourrait lui retomber dessus, ce dont il n'a guère besoin en cette période difficile pour lui. Le sous-préfet, la direction du travail poussent à des négociations, pendant lesquelles PSA persiste à souffler le chaud et le froid, à avancer des propositions pour les retirer ensuite, ce qui provoque la rage des grévistes.
Au bout du compte, ceux-ci acceptent de reporter aux Prud’hommes leurs demandes d’indemnité. La fin de la négociation, tendue, traduit le mépris dans lequel PSA tient ses employés. Après six semaines, (six semaines !), un accord est signé le 30 octobre matin :
- PSA s’engage à laisser vérifier par l’inspection du travail si l’équité entre les organisations syndicales est respectée, et si les postes proposés aux grévistes correspondent à leur qualification.
- Une enquête sur les moyens et outils de la médecine du travail affectés à l’analyse des conditions de travail, incluant les risques psycho-sociaux dans l’entreprise, sera organisée sous l’égide de l’inspection du travail.
- Les grévistes auront droit à un repos en arrêt de maladie compensé intégralement par l’entreprise pour atteindre 100% du salaire, d’une durée maximale de 3 mois.
- Les jours de grève seront quasi intégralement payés. PSA a tenu à indiquer qu’il s’agissait d’une mesure exceptionnelle, de bienveillance, à la demande des grévistes... ce qui a fait dire à Ahmed, le secrétaire du syndicat : « Moi, je ne veux pas d’aumône. Je veux qu’on me paie mes jours de grève, parce que j’ai raison. Je ne demande pas, j’exige ! » . Comment mieux exprimer la légitimité de leur combat ?
Au bout de six semaines,43 jours, "la rage les nourrissant" comme ils disaient, ils ont donc fait plier PSA. Mais ils le savent aussi, c’est loin d’être fini. Ils ont gagné une bataille, mais la boîte prépare la revanche. Il faudra être vigilants pour que ce qui a été arraché ne reste pas lettre morte. PSA s’emploiera à vider de son contenul’enquête acceptée sous la contrainte. La direction freinera sans doute aussi des quatre fers, elle n’a aucune envie d’encourager le développement du syndicalisme « lutte de classe » et indépendant.
Dégoûtés par les méthodes de la boîte, Houssem et Najem ont choisi de ne pas revenir à l’usine et d’accepter la prime de départ. Respect. Tenir plus d’un mois, 34 jours, comme vous l’avez fait dans ces conditions, c'était déjà extraordinaire. Quant à vous, Ahmed, Hicham, Saïd, Abd’illah, Mokrim, vous rentrez la tête haute, avec un nouveau défi: non seulement cristalliser la résistance au système PSA, mais œuvrer à l’unité pour mieux combattre ce système tous ensemble.
Les militant-e-s engagé-e-s dans le soutien et dans l’activité du NPA à PSA Poissy
5 novembre 2013