Publiés par Mediapart : de nouveaux documents qui liquident l'usine d'Aulnay
Lire l'article sur le site de Mediapart
Un brouillon.» «Une étude datant de plus d'un an.» «Une simple hypothèse d'école au plus fort de la crise.» «Un projet qui n'est pas à l'ordre du jour.» Au lendemain de la publication, par la CGT, d'une note interne annonçant la fermeture de l'usine d'Aulnay, la direction de PSA s'est efforcée de déminer le terrain: la fermeture du site de production en Seine-Saint-Denis n'est pas décidée, a répété le groupe sur tous les tons.
Respectant le protocole désormais bien établi entre les grands groupes et le gouvernement, Philippe Varin s'est rendu à la convocation d'Eric Besson, ministre de l'industrie, pour s'expliquer sur ses intentions. Officiellement, PSA n'a pas décidé de la fermeture d'Aulnay. La note interne publiée par la CGT de PSA, en date du 23 août 2010? Un document de travail comme il en existe des milliers dans les groupes.
Donnant le change, le premier ministre, François Fillon, a fait une déclaration définitive: «Compte tenu des aides très importantes apportées à l'industrie automobile française par le gouvernement, je n'accepterai pas et ne comprendrai pas que ces entreprises ne soient pas redevables à la nation qui les a aidées.» Voilà qui ne peut que rassurer : le gouvernement veille sur les intérêts de l'industrie et de l'Etat. Pour clore le débat, un comité d'entreprise extraordinaire est prévu cette semaine afin que la direction de Peugeot explique ses intentions aux syndicats.
Les syndicats de PSA et d'Aulnay ont pourtant raison de nourrir des craintes sur l'emploi chez PSA en France. Selon des documents dont Mediapart a eu connaissance, toute la stratégie du constructeur automobile est en train d'être révisée depuis l'arrivée de Philippe Varin, en juin 2009, à la tête du constructeur automobile. Ces documents sont l'illustration parfaite des contraintes et des façons de penser d'un groupe soumis à une concurrence mondiale sans entraves ni barrière, où le salarié français et européen est opposé frontalement au travailleur indien, slovaque ou turc.
Dès sa nomination, Philippe Varin s'est fixé un objectif: faire de PSA un constructeur global, à la fois présent sur tous les grands marchés (à l'exception des Etats-Unis) et doté d'une production la moins coûteuse possible afin de résister à la concurrence. Dans un document interne que Mediapart a consulté, la stratégie du constructeur est énoncée très clairement: «Poursuivre l'ajustement des capacités à la demande commerciale, grâce au compactage des usines et à l'adaptation des effectifs.»
En clair, supprimer des productions en Europe de l'Ouest, surcapacitaire, pour aller vers les pays émergents prometteurs (Amérique latine, Inde, Chine) ou les pays à bas coûts de main-d'œuvre (Slovaquie, Russie). Quitte à réimporter ensuite la production vers l'Europe. Dans ce cadre, la fermeture d'Aulnay et une vaste réorganisation de la production du constructeur automobile en France et en Europe sont bien des sujets à l'étude.
Le 13 juillet 2010, un comité de direction générale de PSA s'est réuni pour étudier cette réorganisation – en dehors du cas de l'usine d'Hordain (Nord), Sevelord, qui fait l'objet d'une autre réflexion de la part du groupe sur ses relations avec Fiat. L'objectif de cette réunion est de discuter l'ajustement des capacités de production de PSA en Europe sur le segment des petites voitures, le segment B, celui des C3, C4, 206, 207, 308. C'est le segment le plus porteur en Europe, la crise ayant encore accentué, y compris en Allemagne, le déplacement des achats vers ces véhicules au détriment des plus grosses berlines, comme le souligne une note interne.
Mais c'est aussi le marché plus disputé, le plus sensible aux prix. PSA, qui a une forte part de marché dans ce type de véhicules, redoute d'avoir à faire face à des offres commerciales très agressives: ses concurrents, à commencer par Renault, produisent davantage dans des pays «low cost» que lui.
Site d'ajustement privilégié: Aulnay
Un document de travail de 94 pages, intitulé « Efficacité industrielle, périmètre Europe - Segment B », paraît avoir servi de base à la discussion. La première page se présente comme un récapitulatif des décisions arrêtées en janvier 2010. Qu'y lit-on ? «Site d'ajustement privilégié : Aulnay». Cela fait plus qu'écho à la note rendue publique par la CGT.
Interrogé sur cette présentation, un porte-parole de PSA oppose la même réponse qu'après la publication de la note interne par la CGT. « Il ne s'agit que d'un document de travail rédigé au moment de la crise. C'était une époque où il y avait de grosses incertitudes sur la sortie de la prime à la casse. Il s'agit d'une preuve de la réactivité du groupe. La vie des entreprises est de se poser les bonnes questions », explique-t-il. Le terme décision – qui figure sur le document – n'indique-t-il pas cependant que les choix ont été arrêtés ? La réponse de PSA se veut sans appel : « Il n'y a pas de décision puisque l'on n'a pas annoncé la fermeture d'Aulnay. »
La précision apportée dans cette présentation du 13 juillet soulève cependant quelques interrogations. Le coût de la fermeture de l'usine de Seine-Saint-Denis, qui emploie aujourd'hui 3.500 personnes, est très précisément chiffré. Tout y est inclus, y compris la vente du terrain dépollué, censée rapporter 306 millions d'euros. La spéculation foncière en Ile-de-France vient ainsi largement compenser le coût du plan social, estimé à 184 millions d'euros. Les conséquences y sont chiffrées jusqu'en 2018.
La direction de PSA a tenu un tout autre discours au maire d'Aulnay, Gérard Ségura : « Ils m'ont indiqué que la production de la C3 (sur le site - ndlr) serait poursuivie jusqu'en 2016, date normale de la fin du cycle pour la production », dit ce dernier. La direction a cependant ajouté que la « conjoncture économique actuelle ne permet pas d'avoir une visibilité au-delà de 2016».
Le document liste toutes les étapes prévues pour la fermeture progressive d'Aulnay. Dès septembre 2010, il est prévu de diminuer les équipes de trois à deux par jour. Cette décision a été effectivement mise en œuvre en octobre 2010, comme le confirme Jean-Pierre Mercier, syndicaliste CGT d'Aulnay, à Mediapart : «En octobre 2010, l'équipe de nuit a été arrêtée alors qu'on nous avait affirmé en 2008 qu'elle serait pérenne. 400 intérimaires sont partis.» A cette date, une partie de la production a été transférée à Poissy, qui produit désormais 55 véhicules par heure contre 45 auparavant.
Le compte à rebours devant mener à la fermeture est très précis. Selon les documents obtenus par Mediapart, à partir d'août 2012, il est prévu d'accélérer la fin d'Aulnay. Les premières actions porteront d'abord sur les sous-traitants, notamment Magneto, qui a un site de production à Aulnay et que PSA ne veut pas déstabiliser. Une action de communication sera lancée en septembre 2012 afin d'annoncer «la constitution d'un pôle industriel majeur en région parisienne» sur le site de Poissy. L'intention de concevoir un nouveau site industriel, plus adapté aux besoins d'une production modernisée et flexible, est réelle chez PSA. Mais cela permet aussi de prévenir le contrecoup de l'annonce de la fermeture d'Aulnay. La note interne rendue publique par la CGT confirme ce calendrier. Il y est fait mention d'une «fenêtre d'annonce possible, dans le calendrier électoral français, au 2e semestre 2012».
Dès le début de 2013, il est prévu, toujours selon cette présentation du 13 juillet 2010, de passer de deux à une seule équipe sur le site, des salariés d'Aulnay pouvant être repris sur le site de Poissy. Enfin, fin 2013-début 2014, la fermeture d'Aulnay serait définitive. De nouvelles équipes travaillant le week-end à Poissy viendraient compenser la production perdue à Aulnay. Même si la direction de PSA soutient que la fermeture d'Aulnay n'est pas «à l'ordre du jour», ce plan détaillé laisse à penser que le sujet est plus qu'une hypothèse d'école
Saturer certaines usines , en fermer d'autres
D'autres documents viennent conforter l'idée que le site d'Aulnay est bel et bien condamné. Ainsi, dans les perspectives de production du groupe, le site d'Aulnay n'apparaît plus à partir de 2015. Les graphiques indiquent tous son extinction à cette date.
Aulnay, la troisième usine du groupe en France et qui produit la C3, serait-elle donc un site si peu viable? Loin de là, révèlent encore d'autres documents que nous avons pu consulter. Dans une comparaison des usines automobiles, Aulnay n'est pas un site à la traîne, mais plutôt en milieu de peloton européen. Selon le classement de la revue Harbour, qui fait autorité dans le secteur, l'usine figure au 22e rang des sites européens pour l'assemblage, au 14e rang pour le ferrage.
Mais malgré les efforts incessants pour améliorer sa productivité, le site d'Aulnay a l'inconvénient d'être un emplacement vieux, aux coûts sociaux élevés, et qui a été rattrapé par l'urbanisation de l'Ile-de-France. Il est aussi le plus facile à fermer. Pour PSA, c'est un argument qui compte.
Les gouvernements successifs ont beau octroyer des aides multiples au secteur automobile pour l'aider à se maintenir en France (primes à la casse), les constructeurs automobiles se sentent peu redevables à l'égard des contribuables. Pour PSA, la seule urgence est d'optimiser son outil de production.
Le groupe estime avoir trop d'unités de production en France et dans l'Union européenne, dans un marché européen structurellement surcapacitaire. Cette dérive ne cesse de s'amplifier avec la multiplication de nouvelles usines en Europe de l'Est, en Turquie et en Russie. Dans cette industrie de volume aux marges très faibles, la saturation des sites de production et les économies d'échelle sont une des clés pour préserver les marges et moderniser la production. D'où la nécessité de fermer des sites et de concentrer la production ailleurs. Ford, Opel, Fiat, Renault ont déjà commencé à fermer des usines en Europe. PSA a abandonné son site de Ryton, en Grande-Bretagne, au milieu des années 2000.
Dans un premier temps, le groupe PSA a commencé par réduire ses surfaces industrielles – « compacter », comme il dit – afin de réaliser des économies. «1 mètre carré de surface process nous coûte en moyenne 260 euros de frais généraux + 140 euros de main-d'œuvre structure + 320 euros de parc», rappellent les gestionnaires du groupe dans une note. Il lui faut impérativement saturer certaines usines. Et fermer les autres.
Les gestionnaires ont traduit les conséquences économiques de la fermeture d'Aulnay dans un langage totalement abscons : «Le taux Harbour PFA évolue de 86% en 2010 à 122% en 2016.» Traduction de cette novlangue: la fin d'Aulnay permettrait de hisser mécaniquement les performances du groupe. Le taux Harbour est en effet un indicateur de gestion qui fait référence parmi les constructeurs automobiles. Il indique l'utilisation des capacités, un élément clé pour le secteur automobile, des usines et des groupes. Il est calculé sur une base de référence (100%) de 16 heures par jour et 235 jours par an. Plus l'indicateur est élevé, plus la production est jugée performante.
Dans la note interne publiée par la CGT, il est ainsi précisé qu'un tel scénario permettrait au groupe de «restaurer une rentabilité satisfaisante du Groupe et combler l'écart entre l'approche consensuelle des analystes sur la création de valeur de notre plan produit et sa valorisation par nos soins». Les préoccupations boursières ne sont jamais très loin des calculs des gestionnaires.
Le site de Madrid est le prochain sur la liste
Lors de la réunion du 13 juillet 2010, le problème est moins, semble-t-il, de parler d'Aulnay (dont le sort paraît déjà tranché) que de l'usine de Madrid. Faut-il ou non fermer cette usine? «Un site ancien, enclavé en milieu urbain, sans emboutissage», relevait la note révélée par la CGT.
Selon les documents que nous avons pu consulter, la direction de PSA n'est guère optimiste sur l'avenir de ce site. De l'aveu même du directeur industriel du groupe, Denis Martin, l'usine, qui produit des 207 et des C3, est en sous-charge. Ses modèles sont en fin de vie. Dans un premier temps, il était prévu d'y faire produire un nouveau modèle Citroën, donné sous le nom de code E3. Mais à l'été 2010, la direction de PSA s'interroge sur la pertinence de ce choix.
Deux scénarios sont envisagés: soit fermer très vite le site de Madrid dès 2013; soit étaler la fermeture dans le temps, afin de conserver momentanément une certaine souplesse dans la production.
L'argument de conserver une capacité industrielle a des avantages. Mais cela «bloque tout ajustement capacitaire au-delà d'Aulnay», souligne le document. De plus, le maintien de Madrid entraîne des surcoûts dans la production: «Conserver la souplesse et la flexibilité de l'ajustement de Madrid dans le temps ne présente pas un délai de retour satisfaisant», souligne le rapport. D'autant qu'en face, il y a des chiffres attirants pour des gestionnaires. Avec l'arrêt d'Aulnay et de Madrid, «le taux Harbour dépasse les 130% ». Et les économies sur chaque véhicule atteignent 270 euros.
Que faire pour retrouver la production manquante, si le site de Madrid est fermé rapidement ? Toutes les possibilités sont envisagées : augmenter le nombre des équipes, constituer des équipes supplémentaires pendant le week-end. Mais surtout: importer des véhicules d'Inde, le nouveau site de production de PSA dans lequel le groupe place beaucoup d'espoir.
Le rapport va jusqu'à étudier les frais de réimportation vers l'Europe, coûts de fret et de douane compris. Même en cas de hausse du pétrole et de coût du transport, l'Inde reste imbattable par rapport à l'Europe. PSA peut donc espérer un gain d'un peu plus de 700 euros par véhicule à l'horizon 2014.
Officiellement, la direction de PSA a annoncé le lancement d'un nouveau modèle à Madrid et la fermeture du site ne serait pas du tout à l'ordre du jour. Mais les chiffres affichés dans ce document semblent si tentateurs que la direction risque de se les rappeler très vite. A la CGT, on a déjà tiré une croix sur le site madrilène.