Renault et Mercedes accélèrent la concentration de l'industrie automobile
Le nouvel accord annoncé entre Renault, Nissan et Daimler est dans la continuité de la concentration à l’œuvre dans l’industrie capitaliste de l’automobile depuis des décennies. Daimler, c’est le principal constructeur mondial de poids lourds, le producteur d’automobiles sous les marques Mercedes et Smart, ainsi que l’actionnaire à hauteur de 15% de l’avionneur EADS.
Mais le moment et le contexte de la crise qui frappe cette industrie mondialisée n’en font pas une simple opération de routine. Les facteurs qui avaient provoqué l’irruption de la crise au deuxième semestre 2008 sont toujours là. Dopées en 2009 grâce aux subventions publiques de la prime à la casse appliquée dans la plupart des pays d’Europe, les ventes risquent dans les prochains mois de se stabiliser, sinon de baisser avec l’arrêt de ces primes à la casse.
Maintenir sinon accroître le niveau de profit alors que les ventes vont stagner, il n’y a qu’une solution : faire baisser les coûts de production en comprimant le coût du travail et en achetant moins cher auprès des équipementiers et sous-traitants. Exigences liées à la nature même de la production capitaliste se combinent avec une nécessité de court terme aiguisée par la crise : il faut faire baisser les coûts. C’est dans ce contexte que Renault, Daimler et Nissan ont annoncé leur accord .
Les coopérations techniques Renault- Daimler annoncées portent principalement dans le domaine des petites voitures, avec Twingo et Smart qui auraient en 2013 un successeur commun. Selon les chiffres fournis par la direction de Renault, la version 3 portes serait fabriquée dans l’actuelle usine Smart de Daimler à Hambach ( production annoncée de 140 000 véhicules par an ). Le véhicule 5 portes serait fabriqué à la place de l’actuelle Twingo à Novo Mesto en Slovénie ( production annoncée de 200 000 véhicules par an )
Les moteurs Renault fabriqués à Motores en Espagne près de Valladolid et envisagés à Cléon verraient leur production augmenter avec le nouveau débouché Daimler pour les petites voitures. Il en irait de même pour la boite de vitesses PF fabriquée à Cléon.
Cette coopération industrielle concernerait aussi l’usine de Maubeuge avec le Kangoo dont une version dérivée serait distribuée par le réseau Mercedes. Enfin, de façon plus générale, Renault fournissant à les moteurs de cylindrée inférieure à deux litres, et Daimler les moteurs de cylindrées supérieure pour les hauts de gamme Renault et Nissan.
Ces informations fournies par Renault insistent surtout sur le relatif surcroît d’activité que cela créerait dans quelques usines situées en France. On voit mal Daimler opérer sans contre partie, ce qui ce sera bien sûr à vérifier. Les économies « promises » sont de 2 milliards d’euros sur cinq ans, de « synergie » disent ils dans leur vocabulaire, de baisse des coûts, peut-on traduire dans la langue de tous les jours.
Ces coopérations techniques relèvent de la pratique habituelle des constructeurs automobiles. Chacun se fournit auprès des mêmes grands équipementiers, chacun possède déjà des usines communes de moteurs, boites de vitesse, composants ou même de voitures assemblées en commun avec leurs concurrents et associés. Dans le domaine des petites voitures, c’est la même usine Kolin située en république Tchèque qui produit les Peugeot 107, Citroën C1 et Toyota Aygo. Et la Française de Mécanique est une filiale commune à Renault et PSA pour produire des boites de vitesse à Valenciennes.
Au delà de ces coopérations techniques, il y a aussi échange de capital entre les trois partenaires. 3% du capital échangé, cela peut apparaître limité. Mais en euros, cela représente plus d’un milliard d’euros immobilisé chez chacun. Cela est cher payé pour un échange de capital, alors que les économies annoncées n’en sont même pas la conséquence. Il faut accélérer la marche vers la concentration : prolonger à l’extrême les tendances observées depuis des décennies, voilà le remède trouvé pour soigner le malade. Et bonjour les dégâts pour les autres !
Dans cette course à la concentration, les constructeurs automobiles ne gagnent pas à tous les coups. Et Mercedes est l’un des champions des opérations manquées. La série depuis dix ans est impressionnante. En 1999, rachat de Chrysler pour 27 milliards d’euros revendus en 2007 au fonds spéculatif Cerberus avant la faillite de 2009. En 1999 et 2000, achat de parts du capital de Mitsubishi et du sud coréen Hyundai revendu quelques années plus tard. Et enfin, échec en 2009 des négociations avec BMW. Si Daimler approche autant de partenaires, c’est qu’il lui est impératif de se sortir de la nasse où il s’enferme en produisant surtout des grosses voitures polluantes, décentrées par rapport aux exigences du moment. La prospérité de Mercedes dans le domaine des grosses voitures est particulièrement fragile parce que c’est un secteur en déconfiture sous le poids des crises économique et écologique.
Avec ses reventes, Daimler a divisé son chiffre d'affaires par deux, et contrairement à ses concurrents allemands, il a accusé en 2009 une perte nette de 2,6 milliards d'euros. Il n'est pas encore parvenu à s'imposer dans les petites voitures avec la classe A et la Smart.
Le groupe fabrique également des bus, des vans et des camions, dont il est le numéro un mondial avec 259.000 unités vendues en 2009, mais détient le record des véhicules les plus polluants d’Europe, avec une moyenne d'émission de CO2 de 160 g/km en 2009 sur ses ventes européennes.
Pour le patron de Renault, « cette opération va certainement relancer le mouvement de concentration dans l'industrie puisqu'elle va avoir des conséquences importantes sur le paysage concurrentiel. Aujourd'hui, les constructeurs doivent se développer simultanément sur la voiture électrique, l'hybride, être présent sur l'ensemble de la gamme et dans de plus en plus de pays. Je ne vois pas comment un constructeur qui ne produit que 2 ou 3millions de voitures peut faire face. Grâce à l'accord avec Daimler, l'alliance Renault-Nissan se situe, avec Volkswagen et Toyota, dans le club fermé des constructeurs qui fabriquent plus de 7millions de voitures. C'est une façon de positionner pour l'avenir »
Pourquoi 7 millions ? Le président de Renault vend la mêche « pour appartenir au club fermé des constructeurs ». Il n’y a pas d’autre justification que le droit à faire partie de l’oligopole mondial qui contrôle l’industrie capitaliste de l’automobile, en terme de prix, de normes, de relation avec les sous-traitants et d’exploitation du travail.
La concurrence que se livrent les grands groupes automobiles entre eux est celle d’une compétition au sein d’un « club fermé ». La concurrence libre et non faussée est bonne pour mettre en pièces les monopoles publics assurant un service public comme la poste ou les chemins de fer. Mais entre grands groupes, la concurrence est organisée au sein d’un club fermé Voilà la leçon de choses qui est administrée.
Jean-Claude Bernard