Les salariés de Renault Lardy interrogent les candidats à l'élection présidentielle

Publié le par NPA Auto Critique

Mesdames, Messieurs,

Nous vous adressons ce courrier au nom du « Collectif pour le Maintien des Emplois Renault-Lardy » (centre d’ingénierie de Renault dans l’Essonne, à moins de 40 km de Paris, qui compte aujourd’hui 900 salariés Renault actifs et 800 salariés sous-traitants) dans le but de vous informer de nos fortes craintes concernant l’avenir de nos emplois.
Un climat désastreux règne au Centre Technique de Lardy, engendré par les multiples plans annoncés par la direction et les contradictions de nos dirigeants et de notre hiérarchie sur notre devenir

.Durant l’année 2021, la première étape s’est nommée « CAR21 ». Ce plan de départs « volontaires », couplé à d’autres dispositifs, avait pour but de faire baisser les effectifs de Renault en France de 4600 salariés. A Lardy, c’est brutalement que s’y est ajoutée une externalisation forcée de nos collègues de la maintenance au printemps (par l’utilisation de l’article L1224-1 du code du travail). Cette situation pèse toujours sur l’ensemble des salariés, car aujourd’hui nous abordons le nouveau « CAR22 » et le nouvel accord triennal prévoit le départ de 1700 salariés dans l’ingénierie et le tertiaire en France.

Beaucoup de salariés sont poussés dehors, 2 à 3 ans avant l’âge légal de la retraite, payés par Renault à hauteur de 72% de leurs anciens salaires annuels, afin qu’ils restent chez eux.

Nous sommes alors en droit de nous demander pourquoi l’âge de départ à la retraite est repoussé continuellement par vos prédécesseurs.

Aujourd’hui, une grande entreprise est capable de payer ses salariés à rester chez eux, à ne rien faire... Que de contradictions !

Les fonderies ferment du Poitou au Jura en passant par l’Aveyron. A chaque fois, Renault fait partie des principaux donneurs d’ordres et a décidé de ne rien faire pour éviter les licenciements. Malheureusement, l’État, pourtant actionnaire majoritaire, ne dit rien, ne fait rien, mis à part donner de l’argent à Renault, pourquoi ?

Aujourd’hui, dans notre Centre Technique, des ingénieurs et techniciens sont chargés du développement de toutes les motorisations (thermiques, hybrides et électriques) de Renault ainsi que de la validation de pièces véhicules. Renault a décidé de terminer de délocaliser l’ensemble des activités liées aux motorisations Thermiques et Hybrides en Espagne et en Roumanie en 2025 sans proposer pour l’instant de plan global de reconversion pour les salariés concernés. Les emplois de 900 salariés (450 Renault et 450 sous-traitants) sont ainsi directement menacés.

Comment expliquer de tels choix qui détruisent des capacités d’innovation et de recherche en pleine mutation d’un secteur industriel dont l’impact écologique est connu de tous ? Car les véhicules électriques à eux seuls ne sont pas une solution miracle pour l’environnement : il faut réduire la part des métaux rares dans les batteries, travailler sur leur recyclage, envisager des solutions alternatives comme l’hydrogène. Mais Renault a choisi la voie de la réduction de coûts plutôt que celle de l’innovation et de la recherche. Renault envisage même son propre démantèlement en plusieurs entités différentes.

Ces agissements sont d’autant plus inacceptables que l’Etat français a prêté 5 milliards d’euros à Renault (ainsi que 138 millions d’euros au titre du Crédit Impôt Recherche en 2020 par exemple). Renault multiplie pourtant les publicités avec des ingénieurs développant les moteurs hybrides et insiste lourdement sur le « Made In France » alors que les effectifs Renault dans le pays n’ont cessé de baisser et que des délocalisations d’activités de R&D continuent.

Nous sommes, nous salariés de Renault, de petits jouets dans les mains de grands enfants, à qui nous coûtons visiblement beaucoup trop cher. Alors ils nous jettent, nous cassent... C’est sûrement cela le « monde d’après » promis après la pandémie ?

Nous souhaitons non seulement vous alerter sur ce problème qui passe malheureusement sous silence dans notre pays, mais surtout vous demander de vous engager en notre faveur, en tant qu’éventuel(le) futur(e) Président(e) de la République.

Si vous êtes élu(e), êtes-vous prêt(e) à exiger de nouvelles orientations afin que Renault ne soit plus le premier créateur d’emplois délocalisés mais le premier créateur d’emplois dans l’automobile utiles à la société et à l’environnement ?

Résolument guidés par la souffrance des familles de nos collègues que nous côtoyons sur notre site et qui ne trouvent pas de solutions aux difficultés rencontrées, conséquences des nouveaux stratagèmes de nos dirigeants, nous comptons sur votre engagement afin que notre avenir ne soit plus synonyme d’anxiété et de dégoût.


Le collectif MERL (Maintien des Emplois de Renault-Lardy), qui regroupe aujourd’hui 149 salariés du site collectif.merl@gmail.com

La réponse de Philippe Poutou aux salariés du collectif Maintien des Emplois Renault-Lardy

 

Ma réponse sera celle d’un candidat à la présidentielle, mais surtout d’un salarié (licencié) de l’automobile. Si je cherche dans cette campagne électorale à faire entendre haut et fort la voix et les intérêts des travailleurs, mon point de vue est celui d’un ouvrier licencié avec mes collègues de l’usine Ford Blanquefort, après des années de lutte qui ont repoussé longtemps la fermeture du site.

D’expérience, je ne vous promettrai pas de miracle. Au contraire, pour avoir déjà vécu pareille situation, je sais qu’il vaut mieux se méfier des promesses électorales et de ceux qui prétendent nous défendre… une fois qu’on aura voté pour eux.

Je vous promets seulement d’exprimer autant que je le peux la colère que vous ressentez face aux calculs des patrons qui font passer les profits avant nos vies. Une colère que partagent de nombreux travailleurs dans ce pays et ailleurs, qui subissent (mais résistent !) les ravages de ce système capitaliste qui enrichit une infime minorité au détriment des conditions de vie et de travail de l’immense majorité.

Alors plutôt que des promesses, c’est un encouragement à la lutte que je veux vous adresser. Car notre force à nous, travailleurs, c’est la lutte collective ! Dans ce monde capitaliste, une décision prise dans un Conseil d’Administration peut mettre à la porte des milliers de salariés. Ils ne comprennent que le rapport de force, alors seules nos mobilisations changeront la donne, que ce soit pour nous défendre ici et maintenant contre les sales coups des patrons ou pour construire une société meilleure, débarrassée de l’exploitation, de la misère et de la guerre.

Ce que je peux vous dire, c’est que les plans des patrons ne sont pas des fatalités comme ils le prétendent et le répètent les politiciens à leur service, pour nous imposer (à nous !) des sacrifices, au nom de la compétitivité ou de la crise.

Dans le secteur automobile, c’est au nom de la transition énergétique que les constructeurs détruisent des emplois dans les fonderies, chez les prestataires, dans les usines, dans l’ingénierie,… Partout, ils prennent prétexte de cette évolution pour restructurer les entreprises. C’est pour moderniser l’automobile, par exemple, que Renault supprime des emplois dans la R&D à Lardy ? Non : c’est pour être plus compétitifs à l’avenir face à la concurrence, rogner sur la masse salariale pour rapporter toujours plus aux actionnaires.

Vous estimez à juste titre que les salariés de Renault seraient capables de trouver des solutions face à la crise écologique, si la direction n’imposait pas en permanence des réductions de coûts et d’effectifs. Vous avez bien raison. Par leur travail, ce sont les salariés qui font tourner la société. Ce sont eux qui pourraient reconvertir l’économie afin de préserver l’environnement dans lequel nous vivons. Les moyens existent pour réorganiser et adapter les transports, afin de satisfaire les besoins de la population sans polluer la planète. De l’argent il y en a pour cela… sur les comptes des actionnaires et des milliardaires. C’est là qu’il faut aller le chercher, pour défendre les emplois, les salaires, les conditions de vie et de travail de la majorité de la population. Cela nécessite de reprendre le contrôle des moyens de production des mains de ces capitalistes irresponsables qui nous mènent droit dans le mur.


 

Il n’y a que par la lutte que les salariés de Lardy s’en sortiront, qu’ils soient Renault ou sous-traitants. Comme pour tous les autres salariés dont les emplois sont menacés, l’avenir dépendra des mobilisations collectives. Car c’est la stratégie des patrons de nous mettre en concurrence pour tenter de nous faire accepter des reculs. Renault cherche à opposer ses salariés en France à leurs collègues en Espagne ou en Roumanie, mais fait la même chose à l’intérieur de l’Hexagone en promettant de l’activité à ses sites les plus « compétitifs » : Douai contre Maubeuge pour la production, le Technocentre de Guyancourt contre Lardy pour l’ingénierie,… Diviser pour mieux régner, c’est leur méthode.

Face à cette stratégie des patrons, il faut une riposte coordonnée des salariés. Dans tout le secteur automobile (et même au-delà), nous avons les mêmes intérêts : faire passer nos vies avant leurs profits.

Les subventions publiques et les discours souverainistes sur le Made in France n’empêchent jamais les patrons de supprimer des postes pour réduire les coûts. Nos alliés n’ont peut-être pas le même drapeau, ils portent le même maillot ! Ce sont les salariés de Renault et des sous-traitants en Roumanie, en Espagne, en Turquie, en Russie,… qui subissent exactement la même offensive patronale.

Les actionnaires veulent partout nous mettre sur la paille ou à la porte. On l’a vu avec le plan d’économies Renault en 2020. Et je l’ai également vécu en luttant avec mes collègues contre Ford, un groupe multinational américain qui pratique les mêmes méthodes. Face aux plans des dirigeants qui veulent nous opposer les uns aux autres, notre avenir est dans les luttes, par-delà les frontières.

Certes, la lutte ce n’est jamais simple, et de nombreux problèmes se posent à chaque étape des mobilisations. Mais je sais d’expérience que c’est la seule solution qui vaille, et que des salariés en lutte ont les moyens de surmonter ensemble les obstacles. Ce qui nous manque le plus souvent, c’est la confiance dans notre force collective.

J’espère que ma réponse aura pu vous servir et que ma campagne permettra de populariser les revendications du monde du travail. Bon courage pour la lutte et à bientôt dans la rue pour faire entendre notre voix et défendre nos intérêts, avant et après l’élection présidentielle !

À défaut d’être en mesure de venir vous voir dans ces derniers jours de campagne électorale, je reste disponible pour continuer à échanger avec vous, entre camarades !

Philippe Poutou


 

 

 

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