Un point de vue de Neues Deutschland. Volkswagen Grèces d'avertissement

Publié par Neues Deutschland . Traduction Pierre Vandevoorde

Grèves d'avertissement chez Volkswagen : la crise, une occasion pour la transition dans le domaine des transports.
IG Metall brandit la menace d'un conflit social de grande ampleur chez Volkswagen. C'est une bonne chose. Mais pourquoi défendre un plan construit sur des concessions plutôt qu'un véritable plan d'avenir ?

Volkswagen veut fermer des usines, supprimer des dizaines de milliers d'emplois et imposer des réductions de salaire de dix pour cent. Le syndicat IG Metall menace d'un conflit social"comme le pays n'en a plus connu depuis longtemps". Les premières grèves d'avertissement ont eu lieu lundi.
Une convention collective interne s'applique aux quelque 120 000 salariés des six grands sites Volkswagen d'Allemagne de l'Ouest, en Basse-Saxe et en Hesse. Des négociations sont en cours depuis septembre. Une nouvelle date de discussion a été fixée au 9 décembre. Les représentant.e.s du personnel de Volkswagen ont proposé que les salarié.e.s et le conseil d'administration fassent un sacrifice sur leurs revenus. L'augmentation prévue dans l'accord conclu pour l'industrie métallurgique au niveau national doit être appliquée, mais pas versée. Cela doit permettre de financer la réduction du temps de travail dans les sites menacés. En contrepartie, des garanties pour l'emploi et les sites sont exigées.
Dans les années 90, Volkswagen avait déjà adopté la semaine de quatre jours. La réduction du temps de travail est-elle à nouveau une option dans la situation actuelle ?

Entre lutte des classes et gestion de crise
Réduire le temps de travail peut servir différents objectifs, tant pour les salariés que pour les employeurs. Il y a quarante ans, lorsque la grève organisée par IG Metall pour obtenir la semaine de 35 heures a pris fin, le premier pas vers la réduction du temps de travail de 40 à 38,5 heures a été franchi. Un affrontement de classe né de la volonté des salarié-e-s de ne pas être les victimes d'une crise imminente. Celle-ci n'avait pas seulement des raisons conjoncturelles, mais découlait aussi de la capacité de l'industrie allemande à rationaliser les processus de production plus rapidement que les autres. Par ailleurs, de nombreuses productions étaient très demandées à l'étranger, les bénéfices importants réalisés par les entreprises exportatrices rendaient donc possibles des salaires plus élevés et des temps de travail plus courts. Le seuil des 35 heures a ensuite été atteint au milieu des années 1990.
En 1984, les métallos ont fait grève pendant sept semaines et les employeurs ont lock-outé des centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses. Le gouvernement fédéral se rangea nettement du côté du capital : Kohl qualifia la réduction du temps de travail de "stupide et insensée" et ordonna au directeur de l'Office fédéral de l'emploi, Heinrich Franke, de ne pas verser d'indemnités de chômage partiel aux lock-outé.e.s, ce qui était encore légal à l'époque.
En revanche, la semaine de quatre jours a été introduite chez Volkswagen en 1994 sans aucune grève. C'était une réaction à la crise des ventes de l'époque, il s'agissait de préserver 30 000 emplois. Les différences par rapport à 1984 étaient manifestes : la mesure ne concernait qu'un seul groupe, et non pas l'ensemble de la branche. Et les revenus des travailleurs et travailleuses de Volkswagen ont été diminués en proportion de la réduction du nombre d'heures, raison pour laquelle les primes spéciales, à savoir les primes de vacances et de Noël, ont été intégrées aux revenus mensuels en contrepartie.

Cet accord est devenu un des piliers de la collaboration entre IG Metall, le comité d'entreprise et la direction de Volkswagen. Il reposait sur le plan de développement de l'entreprise qui consistait à fournir à l'Allemagne et au monde entier des voitures de petite et moyenne taille construites selon des normes techniques de haut niveau. C'est ce qui a fait de Volkswagen dans les années qui ont suivi, en partie grâce à des circonstances extérieures favorables, le groupe automobile au chiffre d'affaires le plus élevé au monde. En 2006, lorsque la situation s'est améliorée, Volkswagen est revenu à la semaine de cinq jours.
Pendant de longues années, la question du temps de travail est restée taboue au sein d'IG Metall. Après la grève perdue pour les 35 heures à l'Est en 2003, personne ne voulait et ne devait plus en parler pour ne pas constamment raviver les plaies : la mauvaise préparation, le faible soutien à l'Est et le manque de solidarité à l'Ouest, et jusqu'à l'appel du secrétaire du comité d'entreprise d'Opel de l'époque à arrêter la grève au motif qu'elle aurait mis en danger le site de production de sa propre entreprise.

L'aménagement des suppressions d'emplois
Depuis quelques années, cette question revient sur le devant de la scène - dans une grande variété de modèles, souvent sous la forme d'une nouvelle forme de " versement spécial " qui peut également être perçu sous forme de temps. IG Metall répond ainsi également aux souhaits des salarié.e.s d'avoir plus de flexibilité dans l'organisation de leur temps de travail. Tous les modèles de ce type figurant dans les conventions collectives signées par IG Metall ces dernières années associent la réduction du temps de travail à une diminution correspondante de la rémunération. Ainsi, pour l'industrie métallurgique et électrique, l' "Indemnité complémentaire conventionnelle A" a fait son apparition en 2018. Il s'agit d'un paiement annuel spécial qui s'ajoute à la prime de Noël et à la prime de vacances. Elle est indexée sur le salaire individuel, augmente donc en cas d'augmentation conventionnelle et correspond en valeur à la rémunération de huit jours de travail. Une réduction du temps de travail de ces huit jours par an peut être demandée individuellement pour la garde des enfants, des tâches liées à la prise en charge de personnes dépendantes ou pour diminuer la pénibilité du travail en équipe. Il peut également arriver que le comité d'entreprise et la direction signent un accord pour tout ou partie du personnel, en vertu duquel tout le monde doit prendre ces jours de congé pour lesquels la rémunération correspondante est supprimée.
chez Volkswagen, la réduction du temps de travail n'a d'autre rôle que de permettre d'organiser la destruction des emplois.
Ce modèle n'est pas lune exception : avec la convention collective 2021, IG Metall a mis en place d'autres possibilités de conversion de l'argent en temps, telles que la prime de transformation. Elles doivent donner aux entreprises une plus grande marge de manœuvre pour garantir l'emploi par la réduction du temps de travail. Toutefois, l'employeur ne peut pas en décider seul. Le comité d'entreprise doit donner son accord.
Alors que l'"indemnité complémentaire conventionnelle" de 2018 formulait encore l'objectif d'aménager le temps de travail individuel, la vocation de l'indemnité de transformation est clairement de faciliter les mutations dans le processus de production. Etant donné que la prime de transformation au taux de 2,3 pour cent ne permet même pas de financer une heure de travail par semaine, la convention collective ouvre également la possibilité d'utiliser les primes de vacances et de Noël à cet effet. Cela s'appelle alors "compensation salariale partielle", mais c'est du bluff : car il ne s'agit pas d'une "compensation salariale" dans le sens où une partie de la réduction du temps de travail serait "compensée" par l'entreprise; au contraire,, les salarié.e.s perdent exactement le montant qu'ils auraient gagné si la durée du travail avait été normale. Il s'agit simplement d'un report de la rémunération qui était destinée à d'autres fins, comme Noël ou les vacances, et à laquelle les salarié.e.s ont de toute façon droit. Le revenu diminue donc en proportion de la réduction du temps de travail.
Et aujourd'hui ? En réalité, Volkswagen aurait l'argent pour payer une réduction du temps de travail - si elle n'était pas confrontée à la concurrence mondiale pour les parts de marché. Dans leur proposition adressée à Volkswagen, IG Metall et le comité central d'entreprise proposent entre autres de verser temporairement l'augmentation tarifaire à venir sous forme de temps de travail dans un fonds pour l'avenir. "L'entreprise disposerait ainsi d'un instrument lui permettant de réduire de manière flexible le temps de travail en cas de besoin. Ainsi, si les changements structurels dans la production ou l'administration entraînent une sous-utilisation des capacités, le fonds aiderait à continuer à organiser les réductions de personnel de manière socialement acceptable". Dans cette formule, la réduction du temps de travail n'a donc pour rôle que de moduler la destruction des emplois.
Le plan d'avenir de la direction de Volkswagen prévoit le démantèlement, la délocalisation, l'exportation du capital et l'importation de voitures construites en Chine pour le profit de Volkswagen, plus précisément du clan Porsche-Piech. Il faudrait pour cela que les différents comités d'entreprise et le syndicat IG Metall maintiennent un partenariat qui mérite encore moins que par le passé le qualificatif de social. Répondre à la grande offensive de la direction par la renonciation à 1,5 million d'euros de masse salariale et réclamer que les actionnaires renoncent à leurs bonifications, c'est encore faire preuve de timidité. Si le syndicat IG Metall menace d'un "conflit social d'une intensité inédite", ce n'est tout de même pas pour faire accepter par la direction une proposition qui implique de renoncements ? Si la volonté de se battre est bien présente, alors qu'elle le soit pour un plan qui soit porteur d'avenir pour les salarié.e.s et les régions !

Des subventions pour les bus et les trains plutôt que pour les voitures électriques
Dernièrement, IG Metall a fait connaître un plan complet de transition en matière de mobilité, intitulé "Speed matters". Il y est préconisé un basculement radical du transport des personnes vers le bus, le train et le vélo. Pourquoi ne pas aller plus loin dans cette démarche ? Pourquoi IG Metall ne réclamerait pas de consacrer les nombreuses subventions accordées à l'industrie automobile à un véritable tournant en matière de transports, au lieu de réclamer toujours plus d'aides financières de l'État pour les constructeurs automobiles ? Après le dernier sommet sur l'automobile organisé par le gouvernement, IG Metall a proposé des primes à l'achat et des programmes de crédit-bail, des allègements fiscaux pour les véhicules professionnels, l'achèvemnt construction du réseau de chargement pour les véhicules électriques et une électricité bon marché. Cette dernière serait au demeurant financée par tous les consommateurs.
Au lieu de lancer des appels au gouvernement, IG Metall pourrait faire appel à la force des travailleurs et des travailleuses. Les grèves d'avertissement peuvent être un premier pas dans cette direction. La direction a fait ce qui paraissait impensable en préconisant des fermetures. Pourquoi ne pas réagir par ce qui aurait paru impensable en occupant ces usines ? Si Volkswagen a cessé d'en avoir l'utilité, pourquoi ne pas les reconvertir et produire des moyens de transport respectueux du climat, conformément à la proposition d'IG Metall elle-même ? Un changement de cap dans les transports - non pas en fonction des attentes de rendement, mais à partir des connaissances des membres du personnel et des expert.e;s du mouvement climatique ?
Les milliards de subventions que Christiane Benner, présidente d'IG Metall, réclame pour Volkswagen et les autres groupes automobiles seraient alors utilisés à bon escient - en plus des nombreux subsides que ces groupes reçoivent déjà : primes à l'achat, subventions pour les voitures de fonction, fonds de transformation, fonds de recherche, amendes annulées ou non perçues suite au scandale du diesel ou au dépassement des valeurs limites deCO2.
Une telle perspective aurait un tout autre écho dans la société que de réclamer encore plus d'argent pour les groupes les plus riches du pays, qui ne sont pas perçus, à juste titre, par l'opinion publique comme ceux qui font évoluer vers un changement de cap dans les transports, mais comme ceux qui préfèrent tricher et tromper plutôt que de réduire sérieusement les émissions polluantes. Le syndicat et les travailleurs pourraient montrer qu'ils sont capables de lier la lutte pour leurs intérêts à celle de la société dans son ensemble.
En 1984, il y a quarante ans, les métallos ont imposé un tournant dans les relations économiques en Allemagne de l'Ouest en faisant grève pour la semaine de 35 heures. Face à une résistance considérable, ils ont imposé une réduction générale du temps de travail dans une branche importante et essentielle. Ils ont ainsi contré la menace d'une hausse du chômage dans l'ensemble de la société et ont donné le coup d'envoi à d'autres secteurs pour qu'ils suivent la même voie. Pour prendre un tel tournant, il faut avoir une perspective, un plan et de la combativité. IG Metall a les cartes en main.
Matthias Fritz a travaillé chez Mahle à Stuttgart (pièces de moteur) jusqu'en 2019, il était porte-parole des délégués syndicaux et membre du comité d'entreprise.