Aux Etats Unis les travailleurs de l'automobile face aux offensives patronales
Alors que s'ouvrent les négociations avec les trois « grands »,
quelle voie pour les travailleurs de l'automobile ?
Article mis en ligne sur les sites de Solidarity et de Labour Notes.
Traduction NPA Auto Critique
Un point de vue de Dianne Feeley, travailleuse de l’automobile retraitée, participant aux activités de Autoworker Caravan, un groupe de base issu de l’opposition aux concessions imposées lors de la crise économique de 2008-2009.
Pourquoi l’UAW, le syndicat des travailleurs de l’automobile aux USA, autrefois si puissant, n’en finit-il pas de perdre ? Cette question est de plus en plus posée après la triste défaite du syndicat face à Volkswagen dans le Tennessee, le scandale de corruption dans lequel il est empêtré, et sa réponse sans vigueur à l’annonce de la fermeture de 5 usines par General Motors.
Symbole de ces renoncements : l’UAW, au lieu de se joindre à la manifesation dynamique qui fut organisée devant le salon international de l’automobile en janvier 2019 à Detroit, préféra tenir aux alentours une veillée aux chandelles. Alors que les manifestants du salon de l'automobile appelaient la ville de Detroit à reprendre l'usine de Détroit-Champêtre -le terrain avait été donné à General Motors 37 ans auparavant - et à la reconvertir en production « verte », les orateurs de la veillée syndicale menaçaient seulement de déposer des plaintes et d'utiliser “tous les moyens légaux” pour empêcher les fermetures d'usines annoncées.
L'UAW EST DEVENU LE PARTENAIRE DES DIRECTIONS PATRONALES
Depuis la fin des années 1970, les dirigeants de l’UAW n’ont cessé de faire des concessions soi-disant rendues nécessaires par la crise économique. Ils affirmaient que lorsque les temps seraient meilleurs nous pourrions reprendre ce que nous avions abandonné. Mais alors que la conjoncture s’ améliorait pour les entreprises, les travailleurs ont été forcés de faire encore plus de concessions, avec comme conséquence un affaiblissement encore plus marqué du syndicat.
Depuis les années 1980, l'UAW a accepté de se plier au concept forgé par la direction d’esprit d’équipe : les travailleurs sont censés devoir aider la direction à gérer efficacement la production - même si cela entraîne une détérioration des conditions de travail et la suppression d’emplois. La direction de l'UAW se considère comme le partenaire de la direction, responsable à ce titre de l’augmentation de la productivité de l'entreprise et de l’affectation des travailleur(se)s sur les lignes de production. Les unions locales de l’UAW rivalisent entre elles pour garder leurs usines ouvertes, même si ces revendications sont posées au détriment d’autres unions locales.
Alors que les entreprises avaient poursuivi leurs restructuration dans les années 1990, les dirigeants de l’UAW se sont ralliés à la politique des « 3 grands » (GM, Ford et Chrysler) qui ont vendu leurs usines de fabrication de pièces mécaniques. Les travailleurs qui restaient dépendants de l’UAW après ce type de cessions devaient accepter des contrats aux garanties plus faibles. Salaires et avantages à plusieurs niveaux dans le même établissement ont d’abord été introduits dans l’industrie automobile au travers des usines de pièces et d’équipements.
Avec la crise économique de 2008-2009, la politique des différents niveaux de salaires et d’avantages par entreprise s’est étendue à GM, Chrysler et Ford. Dans le cas du renflouement de GM et de Chrysler par le gouvernement fédéral, les dirigeants de l’UAW ont accepté les demandes du gouvernement à plus de sacrifices pour les travailleurs au motif que c’étaient les contribuables qui “sauvaient” l'entreprise. C’est ainsi que l'acceptation par l'UAW des différents niveaux de salaires a été négociée afin de sauver des emplois. Et bien sûr, Ford qui, pourtant n'avait pas fait faillite, a réclamé qu'il avait aussi besoin de ces concessions.
Le Président de l’UAW Gary Jones a indiqué que les négociations contractuelles de 2019 étaient sur le point de commencer et il a laissé entendre que l'UAW était prête à faire des concessions pour que GM revienne sur sa décision de fermeture de plusieurs usines .
Un bulletin syndical local à l'intention des membres syndiqués – c’est à dire tous les travailleurs sous contrat de travail- décrit en détail les possibilités de transfert vers d'autres usines Les dirigeants de l'UAW se vantent de ces droits de transfert, bien que les emplois disponibles puissent être à plus de 150 km du domicile. Mais tous les salariés n’ont pas les mêmes garanties. Les droits de transfert sont plus faibles ou inexistants pour les postes tels que les manutentionnaires, ou pour les travailleurs “temporaires”, quelle que soit la durée du contrat.
L’UAW est un syndicat qui a été par le passé le fer de lance de la classe ouvrière américaine, obtenant des augmentations de salaires, l'assurance maladie, et dispositions favorables pour la santé et la sécurité. Elle a des racines militantes et l'une des constitutions syndicales les plus démocratiques. Par rapport à de nombreux autres syndicats, les salaires de ses dirigeants sont modestes ; un travailleur qualifié avec des heures supplémentaires peut les égaler. Alors quel est le problème?
Le même regroupement bureaucratique, autrefois connu sous le nom de Caucus Reuther, contrôle les postes de direction de l'UAW depuis la fin des années 1940. Avec le temps, il a consolidé sa domination.
À la fin des années 1940 et au début des années 1950, ce même groupe dénonçait, marginalisait et expulsait les communistes et les autres gauchistes. Il a également bloqué l'avancement des dirigeants Afro-Américains jusqu'à ce qu'il soit confronté à une insurrection noire au début des années 1970. Ensuite, il a coopté ceux des travailleurs noirs disposés à rejoindre cette direction bureaucratique.
Aujourd'hui, la plupart des membres de l'UAW ne sont que faiblement conscients que le leadership se reproduit par cooptation des membres de la direction.
Cette bureaucratie contrôle le siège du syndicat, ses bureaux régionaux, ses réseaux de communication et d'éducation ; elle dispose du pouvoir de nommer les personnes aux divers emplois de l’institution. Elle désigne parmi ses membres des candidats à chaque bureau syndical, et leur fournit une aide matérielle pour remporter l’élection. Aux congrès, elle invite les délégués à assister à ses réunions pour les lier ensuite aux positions prises. Efficace pourvoyeur d'emplois, cette bureaucratie se reconstitue. Cette année, plus de 90% des délégués à l’assemblée du syndicat pour préparer les négociations en étaient membres.
L’OPPOSITION « NOUVELLES DIRECTIONS »
Le dernier regroupement oppositionnel dans l'UAW a été « New Directions », Nouvelles Directions. Celui-ci s'est développé à la fin des années 1980 en raison de l'opposition aux concessions que les responsables de l'UAW favorisaient. Jerry Tucker, alors directeur adjoint de la région 5, soutenait que les concessions étaient inutiles si les travailleurs étaient prêts à utiliser leur pouvoir.
Il a montré aux dirigeants locaux comment organiser les travailleurs pour qu'ils travaillent sans produire - ce qu'il a appelé “faire tourner l'usine à l'envers. Cela exigeait de l’ingéniosité de la part des travailleurs. Cela a fonctionné, mais au lieu d'adopter cette stratégie, le cœur bureaucratique de la direction de l’UAW a vu cela comme une menace pour son pouvoir.
Lorsque les responsables locaux ont appuyé la candidature de Tucker au poste de directeur de la région 5 en 1986, la bureaucratie de l’UAW a truqué l'élection. Tucker l'a contesté et a remporté un nouveau mandat fédéral deux ans plus tard. Mais il ne restait plus grand-chose de son mandat de trois ans. Les chefs de l'UAW considéraient Tucker comme un traître. Ils ont installé un directeur adjoint pour saper ses plans et tout leur rapporter. Un bulletin hebdomadaire moquant et attaquant Tucker a été distribué dans toute la région.
Lors de l’élection suivante, les dirigeants de l'UAW ont utilisé tout leur pouvoir pour vaincre Tucker, ainsi que Donny Douglas, un dirigeant de New Directions qui se présente comme directeur dans la Région 1.
La direction de l’UAW a fini par balayer ce regroupement « New Directions ». Certains de ses dirigeants, comme Douglas, ont été réintégrés dans la fraction bureaucratique dirigeante et ont obtenu des emplois au sein de l’institution.
POTS-DE-VIN ET CORRUPTION
Le récent scandale des responsables de haut niveau de l’UAW qui acceptent des pots-de-vin de la direction de Chrysler (aujourd'hui FCA) a révélé une réalité que la plupart des gens croyait impossible. Cette culture de la corruption a-t-elle favorisé la signature d’accords qui ont réduit de manière significative les coûts de la main-d'œuvre ?
Keith Mickens, autrefois militant, est devenu le premier responable officiel de l'UAW condamné. Il a été condamné à un an de prison et à une amende de 10 000 dollars. En minimisant son rôle, il soutenait qu'il acceptait les fonds pour son usage personnel “sous la pression intense de ses supérieurs, et non par méchanceté ou cupidité..
Si Mickens n'avait pas suivi les ordres de son patron, le vice-président général Holiefield, qui est décédé depuis, il aurait été forcé de quitter son poste de permanent syndical et de retourner à la production. Sa déclaration selon laquelle il craignait de retourner dans l'usine était une gifle au visage de chaque travailleur de l'automobile et a montré le mépris que les chefs bureaucratiques ont pour ceux d'entre nous “assez stupides” pour ne pas chercher à obtenir de meilleurs emplois.
Le Detroit News a révélé comment l'ancien président de l’UAW Dennis Williams s’est servi du fonds de grève pour que le syndicat lui construise un luxueuse appartement de trois chambres à coucher devant le centre de conférence de l’UAW sur Black Lake. Bien qu'aucune accusation fédérale n'ait été portée contre lui, une assistante de la direction a dit aux procureurs que Williams avait encouragé les responsables de l'UAW à facturer au nom du fonds de formation diverses dépenses de déplacement et de divertissement.
Lors de la convention de l'an dernier, Williams, alors président sortant, a attribué la corruption à “quelques pommes pourries.” Il a fait valoir qu'aucun argent détourné ne provenait de sources syndicales, mais plutôt de fonds gérés conjointement avec le centre de formation de Chrysler Fiat. En fait, ces fonds sont en partie financés par les travailleurs -pour chaque heure supplémentaire de travail , 5 cents du salaire est alloué à la caisse. Le fonds doit bénéficier aux travailleurs en leur offrant une formation avancée. Si les fonds ne sont pas là, la formation ne peut pas avoir lieu.
DES OPPOSITIONS MAINTENUES
L'opposition à la bureaucratie dirigeante continue de se manifester. Des sites Web surgissent et quelques dissidents remportent même des sièges dans des bureaux locaux ou des sièges de délégués à la convention.
La caravane d'Autoworker, l'un des rares réseaux de travailleurs actifs et retraités, a été organisée pendant la crise économique de 2008-2009. Nous tenons des conférences téléphoniques mensuelles, organisons des manifestations et des conférences, écrivons et diffusons les résolutions de la Convention de l'UAW, et construisons la solidarité avec les travailleurs de l'automobile dans d'autres pays.Alors que les responsables de l'UAW n'impriment que les “points saillants” du contrat national, la caravane d’Autoworker a continué la tradition du regroupement « nouvelles orientations » en exigeant la publication de l’intégralité des contrats. Nous avons distribué les projets de contrat et avons publié un dépliant en soulignant leurs “points faibles".
Ce n'est que sous la présidence de Bob King que le syndicat a commencé à afficher les contrats de chaque société sur le site Web de l'UAW. Si le président actuel ne continue pas cette tradition, nous pourrions reprendre la distribution en même temps que notre analyse des points faibles.
DE QUOI A-T-ON BESOIN MAINTENANT
Les responsables de l'UAW disent qu'ils veulent que les usines de montage de GM à Lordstown et à Detroit-Hamtramck restent ouvertes. Pourtant, ils n'ont même pas participé aux manifestations et aux réunions que le Syndicat canadien Unifor a organisées contre la menace de fermeture de l'usine d'assemblage de GM à Oshawa, en Ontario. Ils n'ont pas non plus répondu aux efforts d'Unifor visant à élaborer une stratégie unifiée contre l'employeur commun.
Les analystes de l'industrie notent que malgré la rentabilité des Big Three au cours des dernières années, il y aura un ralentissement des ventes ainsi qu'une transition vers les véhicules électriques qui utilisent moins de pièces. Mais les responsables de l'UAW vont de l'avant dans l'espoir d’obtenir des contrats que les membres ratifieront. Contrairement à 2015, ils ne promettent pas de mettre fin à l'utilisation extensive du système des niveaux de salaires et d’ailleurs ils n'ont pas préparé l'adhésion pour une grève.
Face à cette restructuration massive de l'industrie, la direction de l’UAW n'a pas élaboré de propositions innovantes qui pourraient mettre en mouvement l'imagination de ses membres et de l'ensemble du pays.
Bien que les compagnies imposent des horaires de travail qui condamnent certains équipes à travailler de façon permanente les fins de semaine sans complément de rémunération, la direction de l’UAW est demeurée silencieuse. Elle aurait pu regarder dans les archives de l’ l'UAW et y trouver le slogan de " 30 heures de travail pour 40 heures de salaire.” Mais il n'a pas été sérieusement question de réduire la durée de la semaine de travail dans l'UAW depuis la récession de 1979-81.
Mary Barra, la PDG de GM, parle de vouloir que GM soit connue comme une société de transport, pas comme une compagnie automobile. Mais même cela ne semble pas avoir incité la direction de l’UAW à réexaminer son modèle de négociation. Si plusieurs usines doivent être fermées afin de financer la recherche et le développement pour cette nouvelle étape, pourquoi l'UAW n'affirme-t-elle pas que les trois grands doivent assumer cette responsabilité financière ?
La transition ne devrait pas se faire sur le dos des travailleurs. Si les entreprises sont incapables de le faire, le gouvernement devrait déclarer ce domaine comme stratégique et prendre le contrôle des usines.
UNE ÉNORME TRANSITION EST NÉCESSAIRE
Au début de la Seconde Guerre mondiale, la production automobile a été suspendue et les usines ont été converties en production de guerre dans les six mois. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la crise encore plus importante du changement climatique.
Au lieu d'être enfermés dans une économie destructrice de combustibles fossiles, les travailleurs et les ingénieurs de l'automobile ont le savoir et l'ingéniosité pour développer un système de transport en commun alternatif et efficace. De nombreuses villes commencent déjà à acheter des bus électriques.
C'est un crime que la direction de l'UAW soit devenu si corrompue et incapable de penser stratégiquement qu’elle est devenue un obstacle pour les membres qui utilisent le pouvoir et le savoir-faire que nous possédons afin d’être le moteur d'un New Deal Vert.
Mais compte tenu de la crise, peut-être pouvons-nous utiliser l'exemple des enseignants qui ont récemment frappé, même là où la grève était censée être “illégale.” Les enseignants ont dû pousser les responsables syndicaux réticents à agir. Mais ils l'ont fait et ils ont commencé à démocratiser leur syndicat en gagnant certaines de leurs revendications.
Les travailleurs de l'automobile peuvent utiliser cette période de négociation pour s'organiser au travail, se préparer à rejeter un contrat inadéquat et à faire la grève. Une telle perspective peut ouvrir la possibilité de reprendre en main le syndicat. Si nous réussissions à la transformer, l'UAW pourrait être capable de développer des syndicats à l’intérieur des usines du Sud et de s'opposer à la propagande du patronat et des politiciens mis en avant à son service.
Viewpoint: As Big Three Negotiations Open, Which Way Forward for the Auto Workers?
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Solidarity: A Socialist, Feminist, Anti-Racist Organization
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