Une crise automobile en 2024 qui vient de loin
Texte préparé pour "Die internationale," la Revue de l'ISO (section allemande de la IVe Internationale). Octobre 2024
L’industrie automobile européenne va de crise en crise. Il n’empêche qu’elle demeure la filière qui emploie le plus de salariés de toute l’industrie manufacturière. En 2023, dans les pays de l’Union Européenne, les constructeurs automobiles employaient 1 million de salariés et les équipementiers ou sous-traitants 1,2 million. En prenant en compte toutes les activités directement liées à la production d’automobiles, l’Association européenne des constructeurs automobiles aboutit à un total de 3,4 millions.
C’est donc loin d’être la fin de l’industrie automobile en Europe, même si la production d’automobiles et véhicules utilitaires est passée de près de 17 millions de véhicules en 2000 à 10 millions en 2023, soit une baisse de 40 %. Si elle n’a baissé que de 20 % en Allemagne, elle a été divisée par trois en France et en Italie sur la même période. Les maximums de production ont partout été atteints avant le grande récession de 2008-2009, la pandémie et la crise des approvisionnements en composants qui lui a succédé ont été une nouveau palier dans cette tendance structurelle à la baisse.
Les ventes d’automobiles, découplées de la production, du fait des échanges internationaux et des délocalisations, sont aussi orientées à la baisse passant de 17 millions de véhicules en 2000 à moins de 12 millions en 2023, soit une baisse de 30 % La cause principale est que la diffusion de l’automobile a atteint en Europe occidentale un niveau de saturation, phénomène d’autant plus marqué que les limites à l‘usage de l’automobile se généralisent dans la plupart des grandes villes européennes.
Ces tendances ne sont pas celles observées dans le reste du monde. Le centre de gravité de l’industrie automobile mondial s’est déplacé au cours des deux dernières décennies La Chine est devenu premier marché mondial depuis 2009, et le tiers des automobiles mondiales y est vendue. Pour l’industrie automobile mondialisée, l’Europe est un maillon faible et c’est pourquoi les firmes européennes se sont cherchées dans d’autres continents terrains d’activités et sources de profit.
Ces années récentes post pandémie on été un eldorado pour les firmes automobiles. Selon le cabinet d’audit Ernst Young, en 2023, avec 8,6 %, la rentabilité moyenne des constructeurs automobiles a atteint son plus haut niveau historique depuis la grande récession de 2008-2009. Les actionnaires ont été préférés aux investissements et surtout à l’emploi, aux salaires et aux conditions de travail de ceux et celles qui produisent en créant les richesses. Plus brutal est le choc aujourd’hui. Le cumul des difficultés propres au continent européen avec celles de leur mondialisation donne toute son acuité à la crise actuelle.
Le passage difficile à la voiture électrique
Les firmes automobiles, à l’exception de PSA qui s’est depuis allié avec Fiat pour créer Stellantis, ont défendu,avec d’éventuels aménagements, le passage à la voiture électrique décidé pour 2035 par l’Union Européenne. Volkswagen le premier constructeur européen, sortait du dieselgate. Ce passage à la voiture électrique n’est pas une nécessité écologique car les gains obtenus en terme d‘émissions nocives pendant que les voitures roulent s’annulent en prenant en compte toute la chaîne de production depuis l’extraction des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries jusqu’à la question non encore résolue des déchets de ce type de produits.Et l’électricité est bien majoritairement produite par des sources polluantes ou bien par l’énergie nucléaire.
Trouver de nouveaux débouchés pour une industrie en déclin
Les raisons de cette décision du passage à la voiture électrique sont donc ailleurs, dans la nécessité de trouver, sinon d’imposer, de nouveaux débouchés à une industrie en panne de croissance et dans la reconnaissance du fait que le pétrole est une ressource dont la durée d’exploitation est bornée dans le temps.
Ce passage à la voiture électrique avait été jusqu’à présent été « dopé » par les cadeaux offerts par les pouvoirs publics aux riches acheteurs de ce type de véhicules dont le prix moyen est supérieur à 40 000 euros. Mais ces aides aux plus riches sont en voie de s’arrêter, politique d’austérité oblige. Cela a commencé en Allemagne où les ventes de voitures électriques se sont effondrées de 69 %, au mois d’août alors que la baisse a été de 44 % dans toute l’Europe. Au-delà de ces mesures conjoncturelles, les voitures électriques restent aujourd’hui beaucoup trop chères pour envisager d’être autant diffusées que « la voiture » des années 1970.
Partout en Europe, il apparaît déjà des surcapacités de production. En Italie l’usine Mirafiori de Turin qui fabriquait la FIAT 500 E est fermée « temporairement » Les usines Renault de Douai Maubeuge aux capacités de production de 400 000 voitures pour l’année prochaine ne produiront que 150 000 voitures électriques en 2024. De nombreux plans des firmes européennes sont revus à la baisse.
Ce qui se passe chez les constructeurs automobiles est encore amplifié pour les fabricants de batterie, élément clé de la fabrication d’une voiture électrique, et dont prix peut atteindre la moitié du prix total de la voiture. Leurs « giga usines », gigas pour le nombre d’octets des composants, par pour le nombre des salariés , sont incités à s’installer par des subventions offertes par les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe. Cela a entraîné une véritable ruée vers ce nouveau gisement de profit. Et classiquement, combiné avec les ratés actuels de la croissance des véhicules électriques, la surproduction est déjà là.
Un même oligopole des firmes automobiles depuis 50 ans
La fabrication des voitures électriques mobilise des chaînes de production différentes de celles des voiture thermiques traditionnelles, incluant notamment fabricants de batteries et conception de logiciels au coeur du contrôle de la conduite de la voiture. Cela bouscule le même oligopole qui domine l’industrie automobile autour des mêmes firmes nord américaine, européenne et japonaise.
L’essor du marché automobile chinois depuis les années 2000 avait jusqu’à présent favorisé les firmes automobiles jusqu’à aujourd’hui dominantes. Après la grande récession de 2008 -2009, c’est bien la Chine qui a permis aux groupes automobiles occidentaux d’y installer capacités de production, d’y vendre voitures par millions et de rapatrier vers leurs sièges les profits accumulés là bas. C’est notamment le cas des groupes automobiles allemands, Volkswagen, BMW et Mercedes. En 2023, la contribution des activités chinoises de Volkswagen à son bénéfice total d’exploitation a atteint 2,62 milliards d’euros, chiffre en baisse par rapport aux 5 milliards d’euros de 2015. Dans le monde, 4 voitures Volkswagen sur 10 sont vendues en Chine.
Mais aujourd’hui la situation change. La firme chinoise BYD est devenue début 2024 la première firme automobile devançant en Chine Volkswagen en nombre de ventes. La plupart des observateurs jugent ce résultat comme irréversible car il tient aux avantages concurrentiels que les firmes chinoises ont su construire autour de leurs nouvelles voitures électriques.
Les autres entreprises automobiles non chinoises sont soumises aux mêmes difficultés. Les profits rapatriés depuis la Chine vont se raréfier et le contexte de guerre commerciale initiée entre les États-Unis et la Chine, et maintenant avec l’Union Européenne, va encore amplifier les phénomènes en cours.
Et dans le même temps Tesla veut construire en Europe, à la suite de celle de Berlin de nouvelles usines. Tesla, c’est la firme d’origine californienne aux 850 milliards de dollars de capitalisation boursière pour un million de voitures produites, près de dix fois fois moins que Volkswagen ou Toyota.
Volkswagen ou Stellantis veulent fermer des usines. Des concurrents veulent en créer de nouvelles. C’est le propre de l’anarchie capitaliste attisée par la concurrence qui génère surproduction à l’encontre de la répartition du travail disponible entre toutes et tous, de la réduction du temps de travail et de la satisfaction des besoins de la population.
Les équipementiers sont en première ligne des transformations en cours. Les plus puissants, tel Bosch en Allemagne ou Valeo en France, s’adaptent à ces changements en se restructurant en interne à coup de fermetures d’établissements et de transfert d’activités. Les autres équipementiers et sous-traitants, souvent liés à une seule technique, sont abandonnés par leurs donneurs d’ordre les constructeurs automobiles. En Allemagne c’est l’équipementier ZF qui supprime 14 000 postes de travail sur 54 000. Et c’est le même ZF qui provoque la fermeture de l’un ses fournisseurs situé à Strasbourg en France.
Ces attaques ont anticipé ce qui se prépare chez les constructeurs automobiles prêts à baisser leurs capacités de production en fermant des usines et en licenciant des salariés. C’est l’intention de Volkswagen qui menace de fermer une usine en Allemagne en plus de l’usine Audi de Belgique. C’est aussi une possibilité pour Stellantis vis-à-vis de l’usine Mirafiori de Turin aujourd’hui fermée « provisoirement ».
La production d’automobiles est orientée à la baisse et la voiture est de plus en plus associée à pollution et nuisance pour le climat : la tentation peut exister de ne pas mener bataille contre la fermeture de telles usines. Franco Turigliatto, un des responsables italiens de Sinistra anticapitalista, avait noté à ce propos « Contrairement à ce qu’affirment certains observateurs inattentifs, même à gauche, la disparition éventuelle de Mirafiori, ne concerne pas seulement l'avenir de dizaines de milliers de travailleurs, directement impliqués, mais aura des répercussions sur l'avenir de la ville et sa structure sociale. Dans le passé, les salaires et les revenus, même modestes, garantis par la forte présence du secteur industriel, ont permis une organisation collective pour un support de classe ouvrant des perspectives d'alternative sociale ».
Voilà pourquoi la bataille contre les fermetures d’usines concerne tout le mouvement social au-delà de la seule filière automobile. Les résistances d’aujourd’hui contre le déploiement des plans patronaux préparent les nécessaires offensives de demain.
Place aux résistances ouvrières
Alors que les attaques patronales se déploient dans toute l’Europe, des ripostes ouvrières sont préparées en France le 17 octobre avec un rassemblement prévu de toute la filière automobile devant le Mondial de l’automobile, le 18 octobre en Italie pour être une journée historique de mobilisation contre les plans de Tavares le directeur général de Stellantis, et en Allemagne avec les projets de fermeture d’usines par Volkswagen. Agir « en même temps » est déjà un signal positif. Le chemin est encore loin entre la nécessité d’une mobilisation contre un patronat de l’automobile de plus en plus concentré et la réalité du mouvement ouvrier dispersé d’aujourd’hui.
Dans le cours des résistances ouvrières, l’inattendu peut survenir. Preuve en est fournie par le succès il y a un an aux États-Unis de la grève des travailleurs de l’automobile. Autour de l’UAW, leur syndicat à la direction renouvelée quelques mois auparavant, Ils ont gagné contre les « Trois Grands » General Motors, Ford et Stellantis, Des hausses de salaire significatives, l’arrêt des divisions salariales selon l’année d’embauche, mais aussi des engagements patronaux en terme d’investissements ont été obtenus. L’avenir de la crise actuelle de l’automobile dépend des rapports de force sociaux que le mouvement ouvrier sera ou non en capacité d’imposer.