Clara Benoits : la "mitraillette" a tiré ses dernières cartouches
Clara Benoits déléguée CGT chez Renault pendant 25 ans, militante anticolonialiste, en solidarité avec les travailleurs immigrés, féministe de toujours.
L'hommage du NPA
Clara Hesser, épouse d’Henri Benoits, nous a quitté le 13 décembre 2023 : âgée de 93 ans, elle aura traversé près d’un siècle de luttes et de résistances. Ses parents hongrois, ouvrière et ouvrier, l’une catholique et l’autre de famille juive, avaient émigré en France après la première guerre mondiale. Ce fut une enfance d’immigrée dont le premier souvenir « militant » fut, enfant de 6 ans, sa venue aux côtés de son père sur un piquet de grève de l’usine Renault de Billancourt lors de son occupation en juin 1936 pendant le Front populaire.
La maladie, la tuberculose et le sanatorium interrompent ses études et elle entre en 1949, de père en fille chez Renault, pour y exercer un emploi de sténo dactylo et participer à sa première grève de trois semaines en 1950 pour le rétablissement d’une convention collective. Déléguée du personnel CGT, elle l’est restée 20 ans de 1950 à 1970 avant de devenir déléguée hygiène et sécurité de 1970 à 1975. Elle participa à la grève de 1968 y animant dans le secteur où elle travaillait, éloignée de quelques centaines de mètres de l’usine elle-même, l’une des rares instances auto organisées de tout Billancourt.
Au début de son activité syndicale, elle y fut surnommée « mitraillette » en raison de sa véhémence et de son débit accéléré lors des interventions devant la direction. Et cette combativité revendicative fut aussi remarquée par les délégués hommes ouvriers souvent immigrés des secteurs de production de l’usine : le début d’une solidarité militante qui ne faillira jamais.
La seule fois où Clara utilisa ses heures de mandat pour des raisons non syndicales c’est, raconte-t-elle, en 1955 pour évacuer quelques documents compromettants au domicile d’un délégué des Forges, algérien, craignant une descente de la police.
Au début des années 1950, c’est le temps où Clara partage les espoirs d’un monde meilleur tel que le présentent les directions de la CGT et du PCF. C’est le temps des grandes grèves comme celle de 1952 où la majorité des délégués CGT est licenciée de l’usine. Et c’est en 1952, engagés contre la répression patronale chez Renault, que Clara rencontre Henri pour, compagne et compagnon, rester ensemble 70 ans.
Arrive 1956 l’année des ruptures politiques. C’est l’année de la révolution hongroise Clara ayant servi d’interprète lors d’un festival mondial de la jeunesse à Budapest en 1949 avait maintenu des correspondances avec des hongrois rencontrés à cette occasion. Leur description de Budapest en 1956 ne correspondait pas à la contre-révolution bourgeoise dénoncée par la direction du PCF et l’Humanité d’alors. Clara, constante dans son intégrité, fit part à ses camarades de Renault de ses interrogations et critiques. Elle rencontra alors une hostilité parfois insultante mais bénéficia du soutien affirmé des camarades de sa propre cellule, et resta membre du PCF jusqu’en 1970. Elle continua sous d’autres formes ses combats pour l’émancipation.
En février 1956, moins deux après le début de la guerre d’Algérie, les députés du parti communiste ont voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet engagé dans l’aggravation de la guerre. Chez Renault c’est l’émotion et la colère parmi les travailleurs et militants algériens en lutte pour l’indépendance de leur pays, ainsi que chez leurs soutiens français. Clara fait partie de celles-ci et ceux-ci. « La terre s’effondrait sous les pieds de tous les militants communistes, en particulier des jeunes du PCF, futurs appelés ou rappelés. », raconte-t-elle.
Et dans les années qui suivirent Clara s’engagea encore plus activement dans la solidarité avec les algériennes et les algériens. Chez Renault dans les bureaux où elle travaillait, elle diffusait presse et documents d’opposition à la guerre. Elle participa aux taches confiées par la fédération de France du FLN, frappant à la machine, reproduisant et convoyant des tracts, participant à la diffusion d’El Moudjahid, l’organe clandestin du FLN,
Clara a fait partie, le 17 octobre 1961, des 5 observateurs de Renault que le FLN avait sollicité pour assister à la manifestation et témoigner de son déroulement. Ce témoignage résonne encore car porté par Henri et Clara jusqu’à ces toutes dernières années dans tant de manifestations, documents vidéo ou exposés dans des établissements scolaires. Un témoignage pour entretenir le fil de la solidarité et dénoncer toutes les oppressions.
Ce qu’elle prolongera après avoir quitté Renault en militant de longues années à l’ASTI d’Issy Les Moulineaux où elle se consacra notamment à des tâches d’alphabétisation. Elle y fit preuve de la même empathie à l’égard des autres, en multipliant les relations d’amitiés avec travailleurs et famille immigrés en butte aux discriminations, à la répression et aux refus d’avoir des papiers. Cette solidarité sans frontière, affirmée dans les actes, est bien l’un des fils conducteurs de son activité militante.
A la fin de sa présence chez Renault et au-delà, Clara participa au groupe femmes de Renault. Pas de discontinuité : les combats de Clara tout au long de sa vie étaient en cohérence avec ceux de ce groupe femmes. Celui-ci fut créé au début des années 1970 au même moment que le MLAC, très actif à Renault Billancourt. Ce groupe féministe dans lequel se sont retrouvées des salariées de toute activité professionnelle dans les ateliers et les services marqua l’histoire de Renault à Boulogne, là où la conduite des activités syndicales étaient souvent le monopole des hommes. Clara, féministe de toujours se retrouva pleinement dans ce groupe où, d’une génération plus ancienne, elle apporta son expérience militante.
Tant à la IVe Internationale, qu’à la LCR ou au NPA nous avons partagé avec Clara aspirations et combats, mais elle n’avait appartenu formellement à aucune de ces organisations, Jusqu’à ce que les difficultés l’en empêchent ces derniers mois, elle lisait attentivement notre presse à laquelle, avec Henri, ils sont fidèlement abonnés. Et preuve d’indépendance lucide, Clara ne se privait pas parfois d’ironie sur nos prises de position ou initiatives.
Un salut à sa fille Sophie et à ses petits enfants. Que le compagnon de Clara, Henri, notre ami et camarade, qui se revendique de la IVème Internationale depuis 1944, il y a près de 80 ans, reçoive ici l’expression de notre affectueuse sympathie. Pour le présent et les luttes de demain.
Ses obsèques se tiendront au mercredi 27 décembre à 11 h 30 au funérarium du Parc 104, rue de la Porte de Trivaux 92140 – Clamart (Tél. 01 46 01 00 93) - Accès : Bus 390 & 189 - Arrêt Cimetière intercommunal, Bus 289 (Arrêt Terminus Cité de la Plaine Clamart)
Clara Benoits : la "mitraillette" a tiré ses dernières cartouches
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