General motors : La faillite d'une industrie automobile

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La faillite de Chrysler et de General Motors témoigne de l’ampleur historique de la crise actuelle de l’industrie automobile. Il y a plus de cinquante ans, en 1953, le PDG de General Motors, Charles Wilson,  déclarait : « ce qui est bon pour le pays est bon pour General Motos  et vice versa ». Le premier constructeur mondial d’automobiles pendant quatre vingt ans sans discontinuer, de 1929 à 2008 est en faillite. Cette industrie étant devenue un oligopole mondialisé, tous les autres continents et des millions de travailleurs sont atteints.

GM emploie 300 000 travailleurs actifs  et il y a  500 000 retraités : cela fait 800 000 personnes qui dépendant directement aujourd’hui de l’avenir  de General Motors. Il faut  aussi ajouter ceux et celles  qui travaillent chez les concessionnaires et  chez les sous-traitants. Pour le seul General Motors, la faillite va ainsi concerner le sort de plus d’un million de familles ouvrières. Mais Chrysler est aussi en faillite et la crise n’épargne pas Ford seul « survivant » en juin 2009 des trois « grands » de Détroit. C’est en millions qu’il faut compter ceux et celles qui ont à supporter les errements des responsables capitalistes d’une industrie en déroute.


Un processus continu de crise depuis trente ans

Si l’explosion de la crise a été brutale, les causes viennent de loin et s’inscrivent dans un processus continu de crises et de restructurations à l’œuvre depuis les années 80.

En 1979, GM était devenu le premier employeur des Etats-Unis, avec 618.365 salariés, sur un effectif de 853.000 personnes dans le monde. Depuis, malgré l’expansion de la firme et la croissance des profits, c’est une chute continue des effectifs. Ils n’étaient plus que 330 000 en 2005, avant le plan social de 2006 qui a entraîné le départ de 30 000 travailleurs.

Même mondialisée, une firme comme General Motors est encore très dépendante de son pays d’origine. La répartition de son chiffre d’affaire se répartissait en 2008  entre les Etats-Unis (55,5%), l’Amérique du Nord (8,1%), l’Europe (19,6%), l’Asie-Pacifique (8,6%), et l’Amérique latine (7,4%).

Les ventes d’automobiles sont tombées aux Etats-Unis à leur niveau le plus bas depuis 30 ans. Après avoir atteint de  16 à 17 millions de voitures en moyenne par an au cours de la décennie précédente, les ventes  de véhicules sont tombées à 13 millions en 2008 et elles seront inférieures à 10  millions cette année.

Cela peut sembler un paradoxe à l’heure de la mondialisation, mais les usines automobiles de Detroit ne produisent que pour leur marché « domestique » de l’Amérique du Nord, Etats Unis et Canada. En effet, les 4x4 et autres SUV produites depuis les années 80 à Détroit n’intéressent pour l’essentiel que le centre du pays, à l’exclusion même des côtes Est (New York) et Ouest ( Californie).   Par myopie et cupidité, ils ont préféré produire des voitures chères, lourdes et polluantes parce qu’à l’unité produite elles rapportaient plus de profit. Cela a  laissé le champ libre  aux firmes japonaise et européenne. Alors que General Motors a représenté, au faîte de sa puissance, près de la moitié des ventes de voitures vendues aux Etats Unis, il n’en réalisait plus que le quart avant la déconfiture actuelle.

C’est pourquoi l’explosion de la crise actuelle dont l’épicentre est au cœur de la première puissance impérialiste a eu des conséquences aussi rapides et dévastatrices chez les constructeurs automobiles nord américains.

Tout cela doit être nettoyé par une faillite !

Après des négociations de plusieurs mois avec les administrations Bush puis Obama, la faillite a été déclarée le 30 avril 2009 pour Chrysler et le 1er juin 2009 pour General Motors. Mais attention, ces mises en faillite ne signifient pas la fin de ces entreprises. Elles vont bénéficier, oui bénéficier, de la protection du chapitre 11 du code américain des faillites, qui permet à une entreprise de se restructurer à l'abri de ses créanciers, sous la supervision d'un juge. GM et Chrysler sont protégés, pas les travailleurs ! L’économie capitaliste des grands groupes ne fonctionne pas comme le budget d’une famille pour qui une faillite est synonyme de détresse sociale.

L’agence de presse Bloomberg News a cité le 1er juin 2009 un analyste financier : « La faillite de GM est très positive pour l’industrie de l’automobile : ils devraient en sortir comme un compétiteur sérieux ..Les contrats de travail et les relations avec les débiteurs et les franchisés sont les seules choses qui empêchent GM d’aller de l’avant. Tout cela doit être nettoyé par une faillite. »  (1). Au moins, l’enjeu est clairement exposé.

Depuis plusieurs mois, un véritable bras de fer se déroule dont l’objectif est de réussir à faire payer aux   travailleurs le coût des restructurations. Quant aux grands créanciers, ce n’est pas la ruine car une fois la faillite officiellement déclarée, les assurances peuvent intervenir.

Une douzaine d’usines seront fermées  d’ici à 2010 et ce sont 20 000 travailleurs dont l’emploi sera ainsi supprimé. Les réseaux commerciaux sont aussi réduits avec 2 000 concessions fermées sur un total de 6 000, ce qui représente près de 100 000 travailleurs concernés. Les marques Pontiac, Saturn, Hummer (la marque préférée d’Arnold Schwarzenegger avec dérivé du militaire un 4x4 emblématique des pires errements de Detroit), et Saab sont abandonnées,

En finir avec les avantages que les travailleurs de l’automobile ont conquis sans les années de croissance, c’est bien l’objectif des syndics de faillite qui organisent le dépeçage de Chrysler et de General Motors. Sont visés les niveaux de salaire, de couverture sociale et de retraites des travailleurs actifs appelés à rester dans l’entreprise, ainsi que le sort de 500 000 retraités.

Cette volonté remonte à loin dans le temps. Les premières attaques significatives ont eu lieu avec l’implantation des usines de firmes japonaise avec Toyota, Nissan et Honda,  et européenne avec principalement Volkswagen : elles se sont installées  dans le Sud et le centre des Etats-Unis, loin de Detroit et hors des anciennes conventions collectives.

Aux Etats-Unis, les retraites et les prestations de santé ne sont pas mutualisées dans des systèmes d’assurance collective et de sécurité sociale. Elles sont négociées par entreprise et par branche. Avec la mise en faillite de GM et de Chrysler, les accords antérieurs deviennent caducs. On voit les dégâts occasionnés par ces pratiques, celles là mêmes présentées en Europe comme étant le « modèle » à copier

Avec l’accord de l’UAW

Force est de constater que l’UAW (2) a été partie prenante de ces reculs. Le renouvellement de la convention collective, en 2007, avait déjà marqué une rupture. Il introduit un système de salaires à deux vitesses en différenciant les travailleurs avec de l'ancienneté et les nouveaux embauchés. Les taux de salaire des nouveaux embauchés ont été divisés par deux.

L’UAW est devenue en 2007 gestionnaire de la structure financière, le VEBA (3),  qui gère la couverture sociale des travailleurs et retraités de l’automobile. GM  a quelques 20 milliards de dettes vis à vis de cette structure. L’UAW a accepté le « deal » consistant à échanger une partie de ces dettes  en actions « chiffons de papier ». Et c’est ainsi que l’UAW se retrouve actionnaire du GM failli, avec 17,5% du capital pour devenir acteur de la restructuration en cours, acceptant la remise en cause de la convention collective qu’elle avait elle-même signé en 2007.

Vers un nouveau General Motors redimensionné

La mise en faillite de GM et de Chrysler est, pour les organisateurs de cette situation, le moyen de rebondir pour donner naissance à de nouvelles entreprises « profitables ». Aujourd’hui, l’État fédéral américain possède 60% de structure transitoire mise en place pour General Motors, et le gouvernement canadien 17%.

Ainsi au pays phare de la libre entreprise, l’une des premières entreprises serait « nationalisée ».  Si c’est incontestablement la démonstration de l’incapacité d’une entreprise capitaliste à prévoir plus loin que ses profits, c’est aussi le témoignage de la capacité d’un État « bien » capitaliste à venir au secours d’une entreprise faillie pour lui faire retrouver le chemin du profit. L’objectif est d’aller vers un nouveau GM aux dimensions réduites par rapport à l’actuel, mais à nouveau rentable.

L’administration Obama a joué un rôle moteur dans cette opération. Entre anciens créanciers ou actionnaires pénalisés par ces faillites, et nouveaux actionnaires appelés à s’enrichir, il fallait une autorité politique renouvelée pour aider aux arbitrages. Mais elle était aussi nécessaire pour faire accepter les dégâts sociaux que supportent des travailleurs par millions. Barack Obama s'est ainsi adressé aux salariés de General Motors. "Les pertes seront lourdes et de nouveaux emplois vont être perdus. Mais le sacrifice que vous devez faire profitera aux prochaines générations." (4). Manifestement, les sacrifices demandés ne sont pas répartis et que ce soit aux Etats-Unis ou dans les autres pays capitalistes, ce sont bien les travailleurs qui paient les frais de la crise.

Une domination quasi séculaire achevée

Il n’y pas d’issue prévisible à court terme car les racines de cette crise tiennent à la combinaison nouvelle  entre le fonctionnement même de l’économie capitaliste et la crise écologique tenant à l’épuisement du pétrole et au réchauffement climatique.

A qui fera-t-on croire que l’expertise des ingénieurs de Fiat, qui vient d’acheter Chrysler, va permettre aux firmes de Detroit de se convertir en firmes écologiques ? Un capitalisme vert supposerait qu’il existe des débouchés solvables pour de nouveaux produits « verts » fabriqués par la même industrie. Ces conditions ne sont pas remplies et la solution aux vrais problèmes écologiques ne passe ni par un nouvel essor de la voiture individuelle, ni par un économie fondée sur le profit.

L’industrie automobile européenne n’a pas plus de réponses à la crise actuelle que ses concurrents nord américains, même si le groupe allemand Volkswagen - VAG consolide ses positions dans le monde. Le retard accumulé en terme d’innovation anticipant les difficultés actuelles ne se comblera pas dans les prochaines années. L’exacerbation de la crise empêche de lancer aujourd’hui les investissements qui n’ont pas été  réalisés lorsque les profits gonflaient  bonus et dividendes. Pour les responsables de cette industrie, le moment n’est pas aux paris technologiques risqués, mais est centré sur les restructurations, la destruction de capacités de production excédentaires, les suppressions d’emplois, et le « cash » à faire remonter des ventes
 

La chasse aux bonnes affaires est commencée

Fiat vient de racheter Chrysler  sans dépenser une seul dollar. Opel, la filiale européenne de General Motors, devrait être cédée à une alliance de circonstances nouée entre l’équipementier canadien Magma, une banque russe Sberbank. Le premier ministre russe, Vladimir Poutine,  a déclaré avec beaucoup de bon sens : « l'achat d'Opel permet d’accueillir au rabais l’une des entreprises automobiles les plus modernes ». (5)

Les activités de General Motors en Amérique Latine et en Chine seront elles aussi chèrement disputées. Et Volvo, l’entreprise suédoise devenue filiale du constructeur américain Ford, est toujours à vendre .Le groupe français PSA détenu depuis plus d’un siècle par la même famille vient de réviser son ancienne politique en se déclarant prêt à des rachats dans les semaines ou les mois qui viennent.

L’oligopole autour de la triade Etats-Unis, Europe et Japon, est bousculé. Les constructeurs d’Inde et de Chine ont acquis des capacités d’autonomie financière et industrielle qui en font des acteurs stratégiques de la période qui s’ouvre. Les grands équipementiers vont aussi s’inviter dans les « tours de table » à venir.

Aux Etats-Unis, comme ailleurs, les travailleurs jetés hors des usines et de leurs maisons ont un savoir-faire et une vie tout simplement, gaspillés et mutilés par un capitalisme prédateur. Décidément, satisfaction des besoins et préservation de l’environnement ne sont pas solubles dans la propriété privée des moyens de production. C’est bien la leçon de choses que démontre la faillite de deux des anciens trois « grands » de Détroit.

21 juin 2009

Publié dans Monde

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