Carlos Ghosn ou les mésaventures d'une construction médiatique

Publié le par Claude Jacquin Apex.fr 18 mai 2011

Pour information, un article publié sur le site d'apex.fr


A chaque époque sa figure emblématique du « chef » d’entreprise. 

À chaque transition économique son PDG médiatique, sa bête de foire, pour faire passer le message aux populations. Carlos Ghosn a été de ceux-là, symbole de la mutation des grandes firmes françaises durant les années 2000. 

Renault, avec sa participation dans Nissan, son contrôle du coréen Samsung Motors, celui de Dacia et son partenariat avec le russe AvtoVAZ, est devenu une firme mondialisée. Carlos Ghosn, avec sa double casquette de PDG d’une entreprise française et d’une entreprise japonaise, polyglotte d’origine libanaise mais né au Brésil, avait tous les attributs nécessaires à cette communication.

La fabrication du mythe ! 

Dans la période où s’accélère la mondialisation financière, la communication finit par s’arrêter sur quelques figures emblématiques mais néanmoins apaisantes de la mobilité du capital et de ses exigences. Avec ses allures de Jedi de la mondialisation, de la rationalisation, de la stratégie industrielle, il avait tout ce qu’il fallait pour remplir la fonction.Combien de dizaine de fois Carlos Ghosn a-t-il été interviewé pour raconter la fantastique aventure qu’est la globalisation des marché et les audaces du groupe Renault ?!

Combien de dizaine de fois l’a-t-on sorti de la boîte pour nous conter ses ambitions démesurées en matière de rentabilité et de révolution culturelle interne ?! Carlos Ghosn c’était la mondialisation faite homme ! L’Iron Man de la planète automobile.

Quelques petits tours et puis s’en va !

Mais la vanité est mauvaise conseillère. Lorsqu'il est arrivé, il a réduit le budget des ressources humaines de 30 %. Pas gêné il déclare maintenant : "Un constructeur comme Renault ne peut pas focaliser toute son attention et son énergie simplement sur son cœur de métier (...) ; la sécurité, les ressources humaines, le juridique... sont aussi importants."

Médiatiquement, Carlos Ghosn a fait son temps. A cause évidemment de cette lamentable histoire d’espionnage mais aussi parce que la trajectoire capitalistique de Renault ne s’accorde plus à l’image rassurante attribuée à son PDG.

Il n’est plus le « tonton-mondialisation » qui pouvait faire passer la pilule des « réalités de notre temps ». Lui-même se prend les pieds dans le tapis (à moins que ce ne soit volontairement) : un jour, il déclare au Financial Time de Londres:« Renault n’est plus un constructeur français » et quelques jours plus tard, pour se rattraper, il affirme confusément sur Europe 1: « Renault est français, Renault a sa base en France, mais a une vocation globale (…) Pour Renault, la France n’est pas un marché quelconque (…) Maintenant il est vrai que l’avenir de l’entreprise ne se résume pas à la France » (Financial Times, 2 juin 2010, Europe 1, 13 juin 2010. 

Pour combien de temps, en effet, Renault pourra-t-il être encore considéré comme un groupe français ? Après l’alliance avec Nissan voici le troisième, Daimler, qui arrive sous forme d’échange de capital et de synergies industrielles. A quand l’entrée d’un capital américain ou chinois pour se consolider sur ces deux marchés ?

Car, engagée dans sa « multinationalisation », une entreprise vouée aux seules lois de la compétitivité, ne peut que poursuivre sur cette trajectoire. Finie la communication sur le thème de la « défense du maillot », finie la soi-disante mondialisation à la française, le groupe RSA déploie, sans plus se cacher, une stratégie apatride, comme il se doit dans le capitalisme actuel. Carlos Ghosn ne peut plus jouer le rôle qu’on lui avait octroyé au départ. Le casting est à revoir.

Les hommes-sandwich du système 

Habitués depuis trois décennies à la théâtralisation de la communication économique, nous ne prêtons plus guère attention à la ronde des visages. A tort !

Il y eut d’abord Bernard Tapie, gouailleur et provocateur, dont le rôle explicite était de « réhabiliter l’entreprise » au sein de la société. Autrement dit, de faire passer les contraintes économiques avant les contraintes sociales. Nous sommes dans les années 80, celles où la part des salaires dans la valeur ajoutée perd pratiquement 10 points, les années de la libéralisation des marchés financiers français, des vagues successives de privatisations et de licenciements. « Nanar » est l’homme de la situation pour noyer le poisson. Il parle, déclare, affirme, postule et gesticule. Pour les plus naïfs, son « show » finit par donner au poison de la financiarisation naissante le joli goût anisé du Pastis.

Mais le temps passe… Elu par les médias « l’Homme de l’Année » en 1984, il lance deux ans plus tard une émission de télévision, Ambition, dont le concept est d’aider un jeune à monter son entreprise en direct. C’est le thème éculé de l’audace et de la chance à saisir que Tapie prétendait incarner pour nous tous.

Mais, le style ne convainc plus. Tapie, l’ex-patron « qui n’en veut », n’est plus alors qu’une figure de carnaval. Après avoir largement servi, il finit par embarrasser la haute nomenklatura patronale, celle que l’on vient de placer à la tête grandes entreprises récemment re-privatisées.

Tout s’accélère en effet, la réorganisation des grands groupes, leur transnationalisation et la montée en puissance des branches de la communication. L’heure est maintenant à la libre circulation des capitaux, aux fulgurantes opérations boursières et aux géantes fusions-absorptions. Exit Tapie et ses pirouettes franchouillardes.

Sans enthousiasme excessif, les médias finissent par se polariser sur le le sieurJean-Marie Messier dont le groupe Vivendi-Universal symbolise l’ère de la communication. C’est le « bon client » par excellence : un audacieux patron français ayant acquis une grande entreprise américaine. Un PDG logeant tantôt à New York tantôt à Paris. L’exemple même du nouveau monde dont rêvent les imbéciles avant que tout cela ne débouchent sur le scandale Enron, sur le krach boursier des valeurs Internet et (en plus petit) sur la faillite de Vivendi lui-même!

Le gourou qui faisait les couvertures de Paris Match sort par la petite porte après avoir encombré de ses interviews et de ses écrits les plateaux TV et les linéaires de librairies de gare. Le patron-type, le « bon client » comme disent les journalistes TV, celui qu’il suffit de citer ou de mentionner pour décrire le monde formidable dans lequel nous vivons, a rempli son rôle. Quelques petits tours devant nous, puis s’en va. Exit Messier.

Le Jedi de la mondialisation a grillé

L’épisode de l’espionnite aigüe est un bon révélateur de ce qui se cachait depuis dix ans derrière la bonhomie télévisuelle de notre homme. Car, il n’est pas anodin qu’une entreprise puisse disposer d’un service interne de contre-espionnage, ayant la latitude de jouer en solo et de cacher un certain nombre de faits et d’actes aux services officiels d’un Etat. C’est symptomatique d’une multinationale qui s’émancipe de ses obligations et de ses attaches antérieures. C’est un signe de son arrachement définitif de son histoire nationale.

Voilà la morale que l’on peut tirer de cette fable moderne. Une grande multinationale c’est un peu-beaucoup comme un Etat, c’est l’Etat dans l’Etat. Ce sont des prérogatives appartenant généralement aux pouvoirs régaliens de l’Etat qui glissent quelque peu (et en silence) entre les mains de l’entreprise multinationale. Ce sont des pouvoirs grandissants, financiers et institutionnels, qui peuvent contourner les Etats ou s’y substituer.

Étant donné que le rôle médiatique assigné à Carlos Ghosn était plutôt de « positiver » la mondialisation et de camoufler ces « petits accotés », il est évident qu’il vient de se griller. Il conserve bien sûr son fauteuil alors que son directeur général Patrick Pélata fait office de fusible. Mais, pour ce qui concerne la scénarisation du « sage de la mondialisation » l’affaire est râpée.

Tapie pour les années 80, Messier pour les années 90, puis Ghosn pour les années 2000. Ce dernier a parfaitement joué son rôle dans la sanctification des grands groupes mondialisés. Il a personnifié le changement d’échelle des grands groupes français tout en marquant l’après « nouvelle économie » que Jean-Marie Messier symbolisait jusqu’à la caricature.

Au-delà de leurs responsabilités économiques, il ne faut pas oublier, pour ces hommes, que leur charisme médiatique momentané n’est qu’une construction volontaire des médias afin de répondre à un changement important de l’environnement économique. Ce sont les médias qui se dotent d’un « crieur public » pour promouvoir jusqu’à la caricature les changements en cours. Tapie, Messier, Ghosn ! Successivement trois têtes d’affiche, trois « hommes sandwich » du système qui, en France, ont marqué les trois décennies de mise en place de la mondialisation financière. Mais… quel sera le prochain « pédagogue » ?

Publié dans Renault

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